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| ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE | |
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Soly Anidjar
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| | | | Soly Anidjar
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| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:29 | |
| L'esclavage aux États-Unis (1619-1865) commence peu après l'installation des premiers colons britanniques en Virginie et se termine avec l'adoption du XIIIe amendement de la Constitution américaine. Succédant à une forme de servitude temporaire — l’indenture —, un esclavage à fondement racial s'institutionnalise progressivement, à un rythme variable selon les colonies, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, sous l’effet de décisions de justice et d'évolutions législatives. Progressivement aboli dans les États du Nord du pays dans les années qui suivent la Révolution américaine, l'esclavage occupe une position centrale dans l'organisation sociale et économique du Sud des États-Unis. Les esclaves sont utilisés comme domestiques et dans le secteur agricole, en particulier dans les plantations de tabac puis de coton, qui s'impose au XIXe siècle comme la principale culture d'exportation du pays. Au total, les Treize colonies puis les États-Unis importent environ 600 000 Africains, soit 5 % du total des esclaves déportés vers les Amériques, jusqu'à l'interdiction de la traite atlantique en 1808. Avant la guerre de Sécession, le recensement américain de 1860 dénombre quatre millions d’esclaves dans le pays1. La marge d'autonomie que ces derniers sont parvenus à se ménager à l'intérieur du système d'exploitation dont ils ont été victimes a donné naissance à une culture originale qui emprunte à la fois à leur culture africaine d'origine et à celle de leurs maîtres. Dans les années 1820, un mouvement antiesclavagiste, minoritaire mais extrêmement actif, s'organise dans le Nord et, avec lui, un réseau d'aide pour les esclaves fugitifs, le chemin de fer clandestin. L'esclavage devient l'un des enjeux principaux du débat politique du pays. Le compromis de 1850, le Fugitive Slave Act, l'arrêt Scott v. Sandford de la Cour suprême ou les événements du Bleeding Kansas sont autant d'étapes de la polarisation croissante autour de cette question, à l'origine du déclenchement de la guerre de Sécession en 1860. À l'issue de ce conflit, le XIIIe amendement de la Constitution fédérale met fin à l'esclavage en étendant à l'ensemble du territoire américain les effets de la proclamation d'Émancipation du 1er janvier 1863, sans toutefois régler la question de l'intégration des Afro-Américains à la communauté nationale. La Reconstruction qui succède à la guerre voit ainsi se constituer un système légal de ségrégation raciale dans le Sud du pays. | |
| | | Soly Anidjar
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| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:31 | |
| Pour faire face à leurs besoins en main d'œuvre, les premières colonies américaines ont recours à un système qui s'apparente à l'engagisme, en particulier pour les tâches domestiques : de nombreux Européens, principalement des Anglais, des Irlandais et des Allemands pauvres arrivent dans les treize colonies britanniques initiales avec un statut de « travailleurs sous contrat » (indentured servants). C'est ce système que les colons adoptent pour les vingt premiers esclaves débarqués par les marins néerlandais. Conformément à ce statut, ceux-ci sont libérés après une période établie et se voient accorder la jouissance de quelques terres par leurs anciens maîtres. Au moins un de ces esclaves, le dénommé Anthony Johnson, est véritablement devenu un propriétaire terrien lui-même détenteur d'esclaves. Au-delà de cet épisode inaugural, le statut des premiers Africains importés sur le continent américain au XVIIe siècle fait encore aujourd'hui débat. Deux thèses, la thèse d'une progressivité de l'esclavage et la thèse raciale, s'opposent à ce sujet. La thèse de la progressivité insiste sur une évolution du statut des Noirs. Oscar Handlin met en avant que, contrairement aux empires ibériques, les Britanniques n'avaient pas pratiqué l'esclavage avant l'installation de leurs premières colonies américaines au XVIIe siècle. Aux premiers Noirs, on aurait, à l'image de la vingtaine d'Africains débarqués du « White Lion », attribué un statut d'indentured servant, identique à celui des immigrés européens pauvres. Le racisme à l'égard des Noirs n'aurait été dans cette perspective qu'une des conséquences de l'infériorité durable de leur statut. La thèse raciale estime au contraire que les Noirs africains auraient d'emblée été considérés, à cause de la couleur de leur peau et de préjugés raciaux antérieurs, comme des êtres inférieurs, corvéables à merci. L'esclavage américain n'aurait été que l'importation à l'identique d'un système déjà répandu dans les colonies ibériques d'Amérique du Sud et des Caraïbes. Il est certain que l'institutionnalisation de l'esclavage ne peut être établie que de manière approximative. Dans la colonie de Virginie, la condamnation en 1640 de John Punch, un indentured servant noir, à la servitude à vie après une tentative d'évasion est la première trace connue d'une différenciation de la jurisprudence sur la base de la couleur de la peau5. En 1654, une cour du comté de Northampton se prononce contre John Casor, le déclarant propriété à vie de son maître. Les colons s'engouffrèrent dans un vide juridique : puisque les déportés africains n'étaient pas citoyens britanniques par leur naissance, ils n'étaient pas nécessairement couverts par la loi commune britannique (Common law). Il faut sur ce point tenir compte de l'extrême diversité locale des premières colonies : éloignées géographiquement, hétérogènes sur le plan de la composition sociale et religieuse, elles ont chacune développé de forts particularismes locaux. À ce titre, il convient de distinguer la situation des Noirs du Nord et du Centre, de ceux du Sud. Au Nord, il semble que les maîtres considéraient les Noirs comme les alter ego des travailleurs sous contrat et, à ce titre, les libéraient quand ils estimaient qu'ils avaient, par leur travail, remboursé leur prix d'achat6. Dès le XVIIe siècle, des Noirs avaient donc le statut d'homme libre dans les colonies du Nord. Dans le Sud, la population noire restait elle aussi minoritaire bien que proportionnellement plus importante : on l'estime à environ 8 000 en 1680 pour 15 000 colons7. Le système des plantations étant à cette époque encore peu répandu, les Noirs exerçaient, en proportion de la pénurie générale de main d'œuvre, des métiers exigeants un certain degré de qualification. Toutefois, une fois libérés après leur période contractuelle, les anciens engagés noirs parvenaient, comme leurs compagnons d'infortune blancs, rarement à sortir de la misère dans laquelle ils étaient confinés. Les meilleures terres du sud-est de la Virginie étaient déjà entre les mains de riches familles de planteurs dès le milieu du XVIe siècle, et la libération des anciens engagés ne leur permettait pas d'échapper à une extrême pauvreté. La persistance de ces inégalités fut génératrice de tensions sociales importantes. | |
| | | Soly Anidjar
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| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:33 | |
| La révolte de Bacon, où seuls les rebelles noirs furent condamnés, montra que les travailleurs et les fermiers pauvres pouvaient constituer une menace pour les riches propriétaires terriens.
La révolte de Bacon, où seuls les rebelles noirs furent condamnés, montra que les travailleurs et les fermiers pauvres pouvaient constituer une menace pour les riches propriétaires terriens.
À la fin du XVIIe siècle, tous les Noirs déportés sur le sol nord-américain se voient imposer le statut d'esclave. Les codes noirs, adoptés dans l'État du Connecticut dès 1690 et en Virginie en 1705 généralisent explicitement ce statut, en définissant les droits des propriétaires sur des individus considérés comme des biens meubles et donc dépourvus de droits. Durant la période coloniale britannique, toutes les colonies, au nord comme au sud, possédaient des esclaves. Ceux du nord étaient principalement employés à des tâches domestiques, ceux du sud travaillant dès l'origine dans des fermes et des plantations cultivant des plants d'indigo, du riz et du tabac, le coton ne devenant la culture principale qu'au cours des années 1790. En Caroline du Sud en 1720 près de 65 % de la population était constituée d'esclaves, principalement utilisés par les riches fermiers et planteurs tournés vers l'exportation.
La part dans la production mondiale du coton brut des plantations américaines est ensuite passée brutalement de 5 % à 70 % en moins de quinze ans, entre 1790 et 1805, les nouveaux États-Unis d'Amérique tentant difficilement de suivre l'explosion de la demande des fabriques de la région de Manchester, dans l'ex-puissance colonisatrice, où le coton est sur cette courte période le ferment de la première révolution industrielle d'Europe. Le prix du coton commence par monter de 50 %, de 30 à 45 cents par livre entre 1790 et 1800, avant de revenir progressivement à moins de 10 cents en 1840, avec l'extension des plantations dans l'Ouest, à grande échelle, dans quatre futurs états. | |
| | | Soly Anidjar
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| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:35 | |
| La culture du coton, et avec elle l'esclavage, se répandit à l'ouest avec l'expansion des États-Unis. L'historien Peter Kolchin écrit qu'« en brisant des familles existantes et en forçant les esclaves à se réinstaller loin de tous ceux et tout ce qu'ils connaissaient », cette migration « reproduisait (à une échelle réduite) beaucoup des horreurs » de la traité atlantique. L'Ira Berlin a donné à cette migration le nom de second passage du milieu (Second middle passage)). Qu'ils aient eux-mêmes vécu ce déracinement ou qu'ils en aient expérimenté la crainte, Berlin considère cette déportation massive comme un traumatisme central dans la vie d'un esclave entre la révolution américaine et la guerre de Sécession. Les statistiques sont lacunaires concernant le nombre exact d'esclaves déplacés : on estime ce chiffre à environ un million entre 1790 et 186014. La majorité des esclaves étaient originaires du Maryland, de Virginie et des Carolines. À l'origine, leur destination était principalement le Kentucky et le Tennessee mais après 1810 la Georgie, l'Alabama, le Mississippi, la Louisiane et le Texas ont reçu la majorité des esclaves déportés. Dans les seules années 1830, presque 300.000 esclaves furent déplacés, l'Alabama et le Mississippi en recevant 100.000 chacun. Il est estimé que de 60 à 70 % des migrations interrégionales étaient le résultat de la vente d'esclaves. En 1820, un enfant de l'Upper South avaient 30 % de chance d'être vendu dans le sud profond avant 1860. | |
| | | Soly Anidjar
Nombre de messages : 42588 Age : 72 Date d'inscription : 13/07/2006
| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:36 | |
| Il est généralement admis que les ventes d'esclaves ont été responsables de la majorité des déplacements d'esclaves vers l'ouest. Les déplacements des familles de propriétaire d'esclaves étaient eux-mêmes minoritaires et seule une minorité d'esclaves a pu suivre les pas de ses maîtres en préservant son unité familiale. Par ailleurs, même si, en vue de créer une force de travail capable de se reproduire, les marchands d'esclaves emportaient généralement un nombre égal d'hommes et de femmes, ils avaient peu intérêt à déplacer des familles entières. La traite devint la plus vaste entreprise du Sud, en dehors des plantations elles-mêmes, et probablement la plus sophistiquée dans son emploi de moyens de transports modernes, de circuits de financement innovants et de la publicité. Cette industrie développa son propre langage composé de termes tels que « première main (prime hands) ou bucks (dollars en argot)... Le développement de la traite entre les États de l'Union et l'arrêt de la traite négrière en 1808 provoqua une hausse du prix des esclaves qui contribua notamment à relancer économiquement les états côtiers. | |
| | | Soly Anidjar
Nombre de messages : 42588 Age : 72 Date d'inscription : 13/07/2006
| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:37 | |
| Une partie des déplacements d'esclaves s'opéraient par la voie maritime, principalement depuis Norfolk (Virginie) jusqu'à la Nouvelle-Orléans mais la plupart des esclaves étaient forcés à se déplacer à pieds. Des routes de migration régulières étaient établies le long d'un réseau d'entrepôts destinés à l'accueil temporaire des esclaves. Chemin faisant, certains d'entre eux étaient vendus, d'autres achetés. La migration occupaient une place centrale dans l'organisation économique et sociale des régions concernées et la grande majorité des habitants du sud des États-Unis, qu'ils soient noirs ou blancs, étaient impliqués, plus ou moins directement, dans le fonctionnement de ce circuit commercial. Le taux de mortalité des esclaves durant la marche, sans commune mesure avec le niveau atteint lors de la traite, dépassait toutefois son taux en période normal. Le second passage du milieu était extrêmement épuisant et débilitant. Un témoin d'époque souligne sa morne apparence en le décrivant comme « une procession d'hommes, de femmes, et d'enfants similaire à une procession funéraire ». En effet, les morts de la marche, les ventes et reventes quotidiennes transformaient non seulement les esclaves en objet marchand mais faisaient surtout de la marche une machine à briser tout lien humain. Les bandits de grand chemin, attirés par le prix croissant des esclaves sur le marché, rendaient le Second middle passage presque aussi dangereux pour les marchands qu'il l'était pour les esclaves. Les hommes étaient enchaînés et placés sous une garde rapprochée. Les convois d'esclaves devinrent des forteresses mobiles où les tentatives de fuite étaient bien plus nombreuses que les révoltes. | |
| | | Soly Anidjar
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| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:39 | |
| Vie quotidienne des esclaves Conséquences de la migration vers l'Ouest Les conditions de vie rencontrées par les esclaves déplacés sur la frontière de l'ouest différaient sensiblement de celles qu'ils avaient connues plus à l'est. Le défrichage et l'exploitation d'une terre vierge, combinés à une nourriture insuffisante, une eau insalubre et l'affaiblissement parfois durable provoqué par le voyage engendra de nombreuses blessures et maladies. Les sites de défrichage privilégiés par les planteurs, souvent situés à proximité d'un point d'eau et donc des moustiques, le climat souvent plus humide et plus chaud contribua à augmenter sensiblement le taux de décès des esclaves nouvellement arrivés. À tel point que certains planteurs préféraient dans les premières années d'exploitation louer des esclaves plutôt qu'en acquérir pour leur propre compte. La dégradation des conditions de vie des esclaves tenaient aussi à d'autres facteurs. La culture du coton était plus exigeante que celles du tabac et du blé pratiquées plus à l'est : les maîtres imposaient des rythmes de travail plus soutenus qui laissaient peu de temps pour la culture vivrière que certains esclaves avaient développés chez leurs anciens propriétaires22. Les conditions difficiles sur la frontière augmentèrent par ailleurs la résistance des esclaves et conséquemment la violence des maîtres et des surveillants. En Louisiane, la canne à sucre constituait, de préférence au coton, la principale culture. Entre 1810 et 1830 le nombre d'esclaves passa dans cette région de moins de 10 000 à plus de 42 000. La Nouvelle Orléans devint un port d'esclaves de dimension nationale et dans les années 1840 le plus grand marché d'esclaves du pays. La culture de la canne à sucre, plus éprouvante encore que celle du coton, exigeait de jeunes hommes dans la force de l'âge qui représentaient les deux tiers de la demande en esclaves. Cette population, plus virulente et susceptible de se tourner vers la rébellion, rendit le régime de soumission imposé par les planteurs d'autant plus violent. | |
| | | Soly Anidjar
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| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:40 | |
| Deux principaux systèmes de travail, parfois non exclusifs l'un de l'autre, ont coexisté au sein du système des plantations américaines : le task system et le gang system. Typique des vastes exploitations rizicoles rencontrées en Louisiane, le long de la rivière Yazoo et sur la bande côtière de la Caroline du Sud et de la Georgie, le task system consistait à assigner à chaque esclave un travail donné. Une fois sa tâche acquittée, l'esclave était libre de vaquer à ses occupations personnelles. Ménageant une marge d'autonomie aux esclaves, il était toutefois, à l'image des grandes exploitations, largement minoritaire. Plus contraignant était le gang system qui peut être considéré comme l'équivalent du travail à la chaîne dans le domaine agricole. Placés sous l'autorité d'un driver, des équipes d'esclaves, dont chacun se voyait attribuer une fonction spécifique, effectuaient parallèlement une tâche identique. | |
| | | Soly Anidjar
Nombre de messages : 42588 Age : 72 Date d'inscription : 13/07/2006
| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:40 | |
| L'encadrement des esclaves était assuré par un régisseur (oversee), représentant de l'autorité du propriétaire sur le terrain et d'un driver, qui conduisait les équipes. Si le régisseur était presque exclusivement un Blanc, le driver était lui-même un esclave. Les fonctions de police qui lui étaient confiées impliquaient force physique et capacité de commandement. Dans les plus grandes exploitations, l'organisation du travail pouvait aboutir à une certaine spécialisation. Forgerons, charrons, serruriers étaient des métiers indispensables au fonctionnement de la plantation dont la charge était souvent héréditaire et réservés aux métis et aux esclaves à peau claire qui, d'une manière générale, étaient mieux considérés que les autres. La clarté de la peau était ainsi un élément d'appréciation de la valeur des esclaves sur le marché et les planteurs choisissaient de préférence des esclaves à peau claire comme concubine (fancy girls). Outre la distinction entre le task system et le gang system, une des principales lignes de fracture qui organise le monde des esclaves est celle qui distingue les travailleurs des champs et les travailleurs domestiques. Cette ligne n'est pas, elle aussi, inamovible. Une carrière d'esclave pouvait le conduire à exercer l'une ou l'autre des fonctions au gré des changements de culture, des migrations et surtout de son épuisement physique. Il n'existait pas non plus de hiérarchie établie entre esclaves sur la base de l'appartenance à l'un ou l'autre de ces deux types de métiers. Si les domestiques étaient globalement mieux nourris et bénéficiaient de conditions de travail plus clémentes, ils subissaient aussi plus directement l'arbitraire des décisions et des châtiments des propriétaires. | |
| | | Soly Anidjar
Nombre de messages : 42588 Age : 72 Date d'inscription : 13/07/2006
| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:41 | |
| La vie sociale des esclaves nous est connue grâce aux récits autobiographiques et notamment les interviews du « Federal writers' project » qui réunit, dans les années 1930, les témoignages de quelque 2 000 anciens esclaves. Les historiens ont longtemps imaginé les esclaves subissant leur sort sans grande marge d'autonomie, mais l'historiographie a évolué sensiblement depuis les années 1970 sur la base de ses témoignages. Longtemps considérée comme inexistante chez les esclaves, la famille a vu son rôle considérablement réévalué, sous l'influence pionnière du sociologue Franklin Frazier. Sans existence légale, elle est toutefois souvent consacrée par une cérémonie religieuse et consignée sur des registres. Une grande partie de la vie sociale et matérielle s'organise autour d'elle. C'est à son échelle, et plus précisément au nom du père de famille, que sont effectuées les distributions de nourriture et de vêtements et l'attribution du logement. La société sudiste impose en la matière son modèle patriarcal, illustré par la division sexuelle du travail : l'homme assure l'entretien de la case, la chasse et la pêche, la femme est dévolue aux tâches ménagères et à l'éducation des enfants. Quand les planteurs les autorisent, les économies financières sont inscrites au nom du mari. Les cases familiales ne dépassaient semble-t-il pas 25 m² pour une moyenne de près de 6 personnes. Elles étaient regroupées dans des quarters situés à distance de la demeure du maître, les plus grandes plantations pouvant en compter plusieurs disséminées sur l'exploitation. L'hygiène y était quasiment inconnue. Dans certaines régions privilégiées comme les zones de riziculture de Caroline du Sud ou de Georgie, les esclaves étaient autorisés à exercer une activité complémentaire en sus de leurs heures de travail obligatoire. Les compléments apportés par l'élevage et la culture de subsistance pouvaient être consommés ou revendus sur des marchés. Une économie parallèle semble s'être mise en place dans ces régions. Il était aussi de coutume d'octroyer un supplément financier pour la période de Noël et quelques propriétaires autorisaient leurs esclaves à conserver leurs gains au jeu (un esclave, Denmark Vesey, est connu pour avoir gagné à la loterie et acheté sa liberté). S'ils étaient dépourvus de tout droit, et donc du droit de propriété, les esclaves pouvaient, dans certaines régions, se voir octroyer la jouissance de biens, en particulier du bétail ou des outils31. La transmission héréditaire de ces biens était semble-t-il tolérée par certains planteurs. | |
| | | Soly Anidjar
Nombre de messages : 42588 Age : 72 Date d'inscription : 13/07/2006
| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:44 | |
| Le rapport à la religion des esclaves américains a considérablement varié dans l’espace et dans le temps. Les croyances animistes et le culte des ancêtres, hérités de l'Afrique, continuèrent de jouer un rôle prédominant pour les premières générations. À partir du milieu du XVIIIe siècle, la religion chrétienne se généralisa à la faveur du Grand réveil, un mouvement religieux évangélique dont l'élan missionnaire enjoignit aux nouveaux convertis blancs d'œuvrer pour le salut des esclaves. Le méthodisme et le baptisme, dont la doctrine de l'engagement individuel tranchait avec le déterminisme calviniste, rencontrèrent en particulier un succès important parmi la population noire. Les pratiques religieuses des esclaves dépendaient pour une part du comportement de leur maître, du rapport que celui-ci entretenait avec la religion et de la manière dont il concevait la foi de leurs esclaves. Animée d’une foi sincère ou concevant la religion comme un moyen supplémentaire de contrôle, la majorité des maîtres encourageaient la conversion de leurs esclaves. Ces derniers vivaient cependant leur foi dans des conditions matérielles assez diverses. Dans les plantations isolées, ils ne pouvaient assister aux offices faute de lieu de culte tandis que dans les exploitations de taille réduite, certains esclaves recevaient la lecture de la Bible de la bouche même de leur maître. L’autonomie des esclaves variait aussi de manière importante. Malgré le contrôle que les maîtres tentaient de conserver sur cette part de leur vie, les esclaves parvinrent à développer une « Église invisible »35 dont les discours et les pratiques différaient sensiblement de celle des Blancs. | |
| | | Soly Anidjar
Nombre de messages : 42588 Age : 72 Date d'inscription : 13/07/2006
| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 7:45 | |
| Lors des cérémonies qui échappaient au regard de leurs maîtres, le discours de soumission que relayaient les Églises du Sud était rejeté par les esclaves au profit de choix liturgiques qui privilégiaient le potentiel émancipateur des Écritures. L’épisode de l'Exode des esclaves du pharaon menés par Moïse tenait par exemple une grande place dans les chants (les negro spiritual) et les sermons. Les célébrations qui empruntaient pour partie au registre des revivals meetings incluaient des éléments plus spécifiquement afro-américains. Les danses rituelles (les ring shows) et les séances de psalmodie dont les participants approchaient de la transe témoignaient d'une ferveur qui tranchait avec l'austérité formelle des cérémonies des élites blanches épiscopaliennes. Malgré le succès incontestable de la religion chrétienne, la survivance des pratiques héritées de l'Afrique resta forte, donnant naissance à une forme de syncrétisme qui mariait aux enseignements bibliques des pratiques magiques et rituelles. Les deux domaines conservaient toutefois des fonctions assez différenciées, la magie étant traditionnellement réservée à l’action immédiate et concrète sur le monde tandis que la religion épousait l'horizon plus lointain du salut de l'âme. | |
| | | Soly Anidjar
Nombre de messages : 42588 Age : 72 Date d'inscription : 13/07/2006
| Sujet: Re: ESCLAVAGE AU IX ET XX EME SIECLE Mar 6 Nov 2012 - 8:17 | |
| Dans le cadre d’une rencontre consacrée à l’étude de l’esclavage en Méditerranée, il était difficile de laisser sous silence une des pages les plus méconnues, mais peut aussi l’une des plus importantes qui a affecté les relations entre les rives de cette mer et l’Afrique sahélienne. On reste sur les retranchements d’un tabou pour une histoire qui débute avec la conquête arabe et ne s’achève officiellement que dans un tardif XIXe siècle.
2Il n’est pas question dans ce bref article d’innover sur la base de nouvelles recherches en archives, mais simplement de dresser un bilan historiographique. L’impulsion donnée depuis une dizaine d’année par l’UNESCO aux recherches sur l’esclavage s’est heurtée à une fin de non recevoir pour ce qui concernait ce sujet. Aussi n’en trouve-t-on que des bribes éparses dans une somme de publications dont cette communication tente de reprendre l’essentiel.
3La présence d’esclaves noirs est attestée dès la plus haute antiquité sur les rives de la Méditerranée, et lorsque s’achève l’époque moderne ils sont encore légions sur l’ensemble des rivages du monde musulman. Or cette constante de l’histoire méditerranéenne n’a laissé que des traces aussi ténues qu’éparses dans les sources, d’où la difficulté de cerner avec précision son ampleur et les mécanismes de son fonctionnement
4Paradoxalement les sources médiévales sont beaucoup plus abondantes, surtout grâce aux chroniques des empires du Mali, édifiés sur le bassin du Niger à partir de la pénétration musulmane au sud du Sahara. Le Tarikh el-Fettach et le Tarikh el-Soudan, en particulier, renseignent abondamment sur les captures, sur les ventes et sur la traite transsaharienne à partir de Djenné ou de Tombouctou1. Cependant l’historiographie semble encore balbutier dans une enfance très ignorante de l’arabe et du turc, car, semble-t-il, de nombreux manuscrits dorment encore dans les archives des pays qui ont relevé de la mouvance de l’ancien empire turc.
5Il semble également qu’un certain tabou relatif à ce sujet n’encourage pas particulièrement les recherches. Cependant quelques auteurs commencent à s’y aventurer certes avec prudence, mais aussi avec une liberté d’esprit qui ne peut qu’encourager les nouvelles générations d’historiens2. En revanche si les sources occidentales ont été beaucoup plus sollicitées, les chercheurs ont plutôt centré leur problématique générale de l’esclavage dans le monde méditerranéen, ne travaillant que par incidence sur la spécificité sub-saharienne.
6Pendant longtemps on a évacué le problème en considérant qu’à partir du XVIe siècle, la traite atlantique avait tari le flux médiéval transsaharien. Cette thèse, présentée comme un axiome, arrangeait l’école historique de tendance tiers-mondiste qui la répétait à longueur d’ouvrages sans se poser plus de problème sur cette vision des choses érigée en dogme. Il est donc intéressant de s’interroger sur la réalité de la présence de ces Noirs qui s’inscrit en continu sur les rivages méditerranéens depuis la fin du XVe siècle, alors que les caravelles d’Henri le navigateur débarquèrent leurs premières victimes sur les marchés du Portugal, jusqu’au XIXe siècle marqué par l’abolition de la traite en 1815.
7Là encore, sans preuve scientifique, on a longtemps admis que cette abolition avait réactivé les courants caravaniers de la traite transsaharienne. Mais c’est entrer dans une nouvelle problématique qui dépasse les limites chronologiques de cette étude centrée sur la période moderne.
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