Certaines personnes m'ont affirmé " à voix basse " qu'ils n'ont jamais pénétré dans un cimetière, même pas prié sur les tombes de leurs ancêtres, leurs familles ou amis.
Dans la vie il y a des quantités de portes à ouvrir, justement celles des cimetières où reposent nos chers disparus.
Moi je suis allé ouvrir la porte d'un des cimetières de Rabat.
VISITE A RABAT AU CIMETIERE.BENZAKEN SALOMON.
Retour à Rabat 42 ans après, visite Pépé Salomon Benzaken au cimetière.
Nous avons quitté définitivement Rabat au Maroc en juillet 1967.
Nous sommes partis et avons laissés nos chers disparus, nos morts.
Depuis quelque temps j’ai une pensée spéciale pour mon grand père paternel.
Pourquoi n’ai-je pas pensé plus tôt pour lui faire une visite.
Son fils Henri est mon père, aujourd’hui disparu depuis 12 ans déjà en 1998, je vais souvent le pèleriner une fois par an à Nice qui se trouve à 800 km de mon domicile.
Et pourquoi ne vais-je pas lui rendre visite ?
Il est décédé à l'âge de 61 ans et cette année j'ai fêté mes 61 ans, c'est le plus bel hommage que je puisse lui rendre.
C’est au cimetière à Rabat, à 1800 km de Paris et 3 heures de vol.
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C’est décidé, je m’envole le dimanche 27 octobre 2009.
Départ aéroport Orly à 5 heures 10. Arrivée aéroport Rabat à 8 heures 20.
Le voyage débute...
Détails par détails, c’est la mémoire sensorielle qui se souvient d’un son, d’une flagrance, des couleurs chatoyantes qui explosent au visage. Mon œil suit ici et là les gens qui passent dans le hall de l’aéroport, tel un défilé de mode sans spots ni podiums : d’abord le tissu des femmes voilées, noir, rose ou vert pomme, à la broderie fine ou au jeté simple ; L’uniforme kaki et rouge des militaires de la douane, le gris ouvrier des porteurs qui me file avec leurs chariots, à peine arrivé.
Rabat. Je redécouvre mon pays natal en travelling, depuis la fenêtre poussiéreuse du Grand Taxi, une Mercédès blanche déglinguée.
Je me souviens de cela : l’odeur du cuir de la banquette noire, séchée par le soleil omniprésent. La voix nasillarde d’un journaliste que diffuse la FM locale constitue la bande-son du film qui se déroule à 80 km / heure sous mes yeux, intitulé
« Retour à Rabat, 42 ans plus tard ».
Dehors, sur les bords sableux de la route bitumée, on croise de tout : un jeune marocain en amazone sur une mule fatiguée, un troupeau de moutons presque marrons, des bananiers, des bâtisses blanches aux toits plats.
Je repense à mon quartier, à ma maison, celle de mon enfance et de ma jeunesse.
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J’ordonne au taxi de m’arrêter à l’hôtel Balima, le seul que je connaisse de nom.
La réceptionniste m’annonce que l’hôtel est complet.
Tans pis, je prend mon sac à dos et file sur la grande avenue Mohamed V, je la connais par cœur, je m’y suis trimballé durant ma jeunesse de long en large.
Direction la médina au bout de l‘avenue.
Je demande à un passant et poliment m’indique et me mène vers l’Hôtel du Centre à l’entrée de la médina où se trouvent des chambres à louer.
C’est très bien, je dépose mon sac et repars aussitôt, le temps presse.
Il est 10 heures du matin et je retraverse la médina.
J’en profite d’observer les passants et voir les boutiques.
j’avale un jus d’orange dans la rue.
Trois rues principales traversent la médina : une rue parallèle au mur des Andalous, la rue Souika, et à ses deux extrémités deux voies perpendiculaires, la rue Sidi Fatah vers le Boulevard El Alou, et la rue des Consuls qui mène à la casbah des Oudaïas.
J’essaye en vain de me rappeler ce quartier en sortie des remparts de la médina.
C'est toujours avec la gentillesse caractéristique des R’batis qu'ils vous recevront et vous feront visiter cette ville.
Un gamin sait où se trouve le cimetière et me fait le guide.
Nous sortons de la médina par la porte Bab El Had.
Les murailles de Rabat.
Erigées sur ordre du Sultan almohade Yacoub el Mansour à la fin du XIIème siècle, elles furent prolongées par Moulay Rachid. Longues de plus de 5 Km, les murailles entourant les quartiers historiques de Rabat sont dotées de plusieurs borj et percées de différentes portes. L’effet d’ensemble est magnifique et donne à la ville son cachet particulier.
Nous approchons du cimetière proche de la rue de Témara, je me souviens maintenant de ce quartier de Rabat que j’avais quitté en 1967.
Je laisse mon guide en le remerciant généreusement et je sonne au gardien.
Voici la rue anciennement appelée rue de Poitiers. Le lycée professionnel At Tadilly est en face, je l'ai fréquenté 3 années.
Un très vieux monsieur à djellaba m’ouvre l’énorme porte.
Il s’en va chercher un plan indiquant l’emplacement de la tombe de mon grand père.
Pendant ce temps je regarde la vue d'ensemble du cimetière.
Un vieux document qui dâte de très longtemps et jaunit par le temps d’où je parviens à trouver le nom: BENZAKEN SALOMON.
Très étonné je constate qu’il y a d’autres noms BENZAKEN…?
Qui sont-ils ? Je lis BENZAKEN ISAAC et BENZAKEN ANNA.
Mais oui j’avais fait la généalogie de mes ascendants BENZAKEN.
C’est donc son frère Isaac et son épouse Anna.
L’épouse de Salomon, Zahra ma grand-mère est inhumée à Sarcelles en 1969.
Il a fallu rechercher la tombe quinze bonnes minutes, enfin j’arrive à lire les écritures,
difficilement lisibles.
Inscriptions gravés en français:
ICI REPOSE
SALOMON BEN ZAKEN
NE LE 9-8-1887
DECEDE LE 6-9-1948
קבורה לכ"ב (לכבוד)הזקן הכשר רבי שלמה בן זקן נ"ע (נשמתו עדן)י בן אחד ושישים שנה (61)במותו בשני בש"ק(בשבת קודש)י שני ימים לחודש אלול ש"תשח(1948) לפנ (לפי ספירה נוצחית) ת-נ-צ-ב-ה תיהיה נשמתו צרורה בצרור החיים »
Inscriptions gravés en hébreu: Traduction hébreu / français:
L'enterrement pour le respect d'un viel homme pur. Shlomo Benzaken..son âme au paradis.
Décédé a 61 ans en sous officier français (samedi saint).
Le 2 du samedi kodesh 2 jours du mois de Eloul 1948 selon l'année chrétienne,
que son âme reste dans les trousseaux de la vie....
Compliqué à traduire la dernière phrase, je pense qu'elle veut dire que même s'il n'est plus là son âme restera toujours parmi nous...
Tombes de Salomon, Isaac et Anna son épouse.
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Il est 11 heures la chaleur est là, le soleil perce. Je pense repartir. Non je ne dois pas partir. Quelque chose me retient. Il y a un calme ici et je suis seul. Je dois réfléchir. Je ne dois pas partir maintenant. J’y suis, j’y reste.
Je dois parler à Chlomo, oui c’est comme ça qu’on l’appelait à l‘époque.
Je me dois d’entamer une discution en tête à tête. Personne est là pour écouter.
Pépé Chlomo, te rappelles-tu de moi?
Dans l'hypothèse qu'il serait vivant lorsque j’étais très jeune. M’entends-tu ?
Je m’assois prés de sa tombe presque allongé prés de lui et j’entame la discussion.
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Tu te souviens du logement où tu habitais vers le quartier de la Tour Hassan, du coté de la rue Henri Popp, de la rue Capitaine Petit-Jean ou de la rue du Chellah.
Tu devais être âgé à peu prés de 60 ans, un an avant ton décès.
C’était un samedi après midi de shabbat, on était venu vous voir avec mes parents.
Il était là allongé fatigué sur le lit de sa chambre faisant la sieste .
J’essayais de l’entrevoir depuis le couloir et m’assis prés de lui.
Pourquoi je lui posais cette drôle de question?
« Pépé c’est toi sur la photo accroché au mur, déguisé en militaire ».
Il se réveilla en me répondant:
Oui c’est bien moi, mais pas déguisé car j’étais vraiment militaire.
J’avais 25 ans en 1912 lorsqu'on m'appela sous les drapeaux pour combattre en France.
J’ai laissé mon épouse Zahra et mes deux enfants Rachel et Esther à Oran en Algérie.
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FRANCE. Pays où a combattu mon grand père paternel, Salomon Benzaken, né le 9 aout 1887 à Oran et décédé le 6 septembre 1948 à Rabat.
Je suis fier de posséder la copie de sa carte de combattant de la ' GRANDE GUERRE' de 14-18 et une copie d’attestation d’ordre où est notifiée par Le Général Lerond, Commandant d’Artillerie de la 6ème Armée, sous les ordres du Capitaine Gauthier-Villars, malgré de très sérieuses difficultés d’ordre technique, à plusieurs reprises, le peloton a réussi à atteindre le 3 mai 1918, une pièce allemande de gros calibre dont les tirs menaçaient la Ville de Paris.
Le 13 mai 1918 signé du Général Lerond.
Décerné au Sergent Benzaken Salomon .
Ordre de mérite et carte de combattant.
Il continue son récit toujours allongé sur son lit et je l’écoutais attentionné:
A mon retour à Oran en Algérie, de la grande guerre, j’ai eu deux autres enfants que tu connais, ce sont ton oncle Moïse et ton père Henri.
D'ailleurs Moïse avait combattu aussi les nazis en France en 44 et s'était évadé de la prison de Saumur où il avait été prisonnier.
Salomon quitte Oran Algérie avec son épouse Zahra et ses 4 enfants pour Rabat Maroc en 1920 à cause de l‘antisémitisme qui y régnait dans ce pays.
Et aussi presque tous ses frères et sœurs sont partis auparavant pour le Maroc.
Ensuite sont nés 4 autres enfants à Rabat, dont Anna qui décéda à l'âge de 4 mois,
Fortunée, Annette et Jeanne.
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Je lui posais une autre question, tu fais quoi comme métier ?
Je suis cocher, je transporte des marchandises et des gens.
Il se retourna sur son lit et s’endormit.
Un an après il disparut.
Le temps passe vite il est 14 heures et je suis toujours au cimetière. J’ai du m’endormir pendant cette conversation intime, réveillé par la tape sur l’épaule du vieux gardien.
Je décidais de partir. Je lave mes mains à un robinet se trouvant pas loin comme c'est de tradition et demandais au gardien de me prendre une photo en pensant que c‘est peut être la dernière fois.
Je repartais larme à l’œil et direction ma chambre d’hôtel, traversant la médina.
Le lendemain je décidais de revoir ma ville natale de Rabat, mon quartier, mon coin de rue.
Retour dans les rues et quartiers de mon enfance et de ma jeunesse où j'ai passé 17 ans. 42 années après .....
Je commence à ouvrir toutes les portes à ma direction:
J'ouvre la porte énorme du Mellah, voir si il y a toujours ce marchand de sfinjs, je pousse ensuite la porte de la synagogue Rabi Chalom Zaoui, sa fille Létitia Zaoui était mon arrière grand mère maternelle, épouse de Raphael Riboh. Ensuite je longe cette ruelle étroite qui mène aux Oudaïas.
J'ouvre les portes de la médina, voir et sentir cette population intense avec ses milliers d'échopes, ses mosquées, ses muézzins appelant à la prière, un carré de soleil qui se déplace avec le jour et, dans un coin ombreux, une fraîche fontaine.
Autre direction,je retrouve mon impasse Henri Popp où je suis né et grandi.
J’ai habité 12 ans dans l'immeuble au fond à droite avec le balcon de 1949 à 1961,
dans cet immeuble ont habité les Assayag, les Dahan, les Benaïm, les Chicheportiche, les Méchali, Anna et Isaac Benzaken, le frère à mon grand père paternel Salomon Benzaken. A gauche les familles Trojman, Baruk, Aberssera, Sabah, Attias, Azuèlos...
Aujourd’hui et depuis plus de 42 ans aucunes de ces familles n’y habitent.
Toutes ont quittés définitivement le Maroc.
Nous y avons seulement laissés nos chers disparus dans les cimetières.
Je dois dire que c'est tout à l'honneur des autorités Marocaines que de voir ces cimetières entretenus d'une façon aussi parfaite. Notre reconnaissance et nos attaches du Maroc n'en sont que grandies et renforcées.
Pour nous c’est un peu nos traces semées partout dans le Maroc que nous retrouvons petit a petit.
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Que sont devenues nos familles lointaines décédées à Oran en Algérie?
Concernant le cimetière juif d’Oran ce dernier est dans un état lamentable. Les autorités Algériennes ont amputé une partie de ce cimetière pour élargir la route de 4 mètres, conséquences : ils ont enlevé les pierres tombales qui sont empilées un peu partout dans le cimetière, et ont bitumé sur les sépultures qui sont donc sous la route !!!! En outre ce cimetière qui est laissé à l’abandon voit la végétation à hauteur d’homme, voire plus haut, envahir tout l’espace. Une toute petite partie est accessible. Les cimetières juifs étant la propriété du consistoire il leur appartient d’en assurer l’entretien.
Le cimetière juif d'Oran a été rasé pour moitié (constructions)
Voici ce qu'est devenu le cimetière juif d'Oran où sont enterrés nos ascendants.
Aprés une semaine passée ici à Rabat,le voyage se termine, je rentre en France avec émotion.