De nos jours encore, lorsque les Juifs tunisiens veulent évoquer un rabbin miraculeux qui pourrait les soutenir dans leurs peines ou leurs difficultés, ils évoquent la mémoire du rabbin Haï Taïeb, qui a la réputation, bien que disparu il y a plusieurs siècles, de ne pas être mort.
Ce rabbin vivait il y a bien longtemps, à Tunis. C’est en 1760 qu’il naquit, très jeune, il manifesta des dons remarquables pour tout ce qui touche à la religion. La Torah et la Cabbale n’avaient pas de secrets pour lui alors qu’il était encore un tout jeune homme. Et il devînt rabbin. Un rabbin qu’on respectait pour sa connaissance des textes saints, mais dont on se moquait dès qu’il avait le dos tourné. En effet, Haï Taïeb, trop absorbé par l’étude, se souciait peu de sa tenue vestimentaire. Ses habits usés jusqu’à la corde étaient rapiécés et tombaient en morceaux. Ses chaussures éculées étaient constamment crottées de boue. Et, pour couronner le tout, il adorait la boukha, un alcool de figues qui ressemble à de la vodka. Il était souvent accoudé dans des tavernes à savourer sa liqueur préférée. Comment un rabbin pouvait-il agir ainsi ? On raconte que Haï, qui vivait dans une modeste habitation de la Hara, le quartier juif de Tunis, avec sa mère, fut profondément choqué, voire traumatisé, un jour, par une grave bévue de cette dernière. On procédait alors, dans tous les foyers juifs de la ville, au fameux ménage de Pâque. Et voilà que la mère du rabbin, malencontreusement, se débarrasse en les brûlant dans un « canoun », le réchaud de l’époque, de tous les manuscrits de son fils, de toute son oeuvre de commentaires érudits de la Torah. Seul un texte « Helev Hittim » ( Suc de froment), échappa au massacre.
Effondré, le rabbin, dit-on, commença à noyer sa peine dans la boukha. À sa mort, en 1836, un cortège de plusieurs milliers de personnes accompagna sa dépouille au cimetière. Lorsque le marbrier installa, plus tard, la pierre tombale, il inscrivit : « Ici repose le Grand rabbin Itzhak Haï Taïeb, mort (met), le 19 kislev 1836. Or, raconte la légende, il n’avait pas fini de graver cette phrase que sa vue se voila et qu’il fut frappé de cécité. Pendant ce temps, au cimetière, la pierre tombale se fissura et tomba rapidement en morceaux. Mystère !
Le marbrier, désormais aveugle, implorait Dieu tous les jours : « Qu’ai-je fait, mon Dieu, pour mériter une telle infamie ? »
Un soir, le rabbin Haï Taïeb lui apparut en songe. « Je vais te dire, moi, pourquoi tu as été puni ! ». « Oui, rabbi, toi qui sais tout, dis-moi pourquoi ». « Parce que tu as commis une grave faute en gravant mon épitaphe ! ». « Une faute ? Quelle faute ? ». « Tu as écrit « met », mort, sur ma tombe. Je m’appelle Haï, vivant, et j’ai voué ma vie à Dieu. Je ne peux donc pas mourir.Va au cimetière, refais la plaque et écrit « Lo met » (Pas mort). Ce que fit le marbrier qui recouvra immédiatement la vue. Le rabbin Taïeb est depuis connu sous le nom de « Rabbi Haï Taïeb Lo Met »