Un musée marocain met en valeur le patrimoine culturel juif2009-10-02
Casablanca
accueille le seul musée du monde arabe consacré à l'histoire juive.
Pour ses nombreux visiteurs, le Musée du patrimoine judaïque marocain, met en lumière une partie assez peu connue de l'histoire nationale et montre comment des liens communs peuvent surmonter les différences religieuses.
Interview et photos par Imane Belhaj pour Magharebia à Casablanca – 02/10/09
Le Musée du patrimoine judaïque marocain de Casablanca est un exemple unique dans le monde arabe.
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Le Musée du patrimoine judaïque marocain de Casablanca est une institution
unique en son genre au plan national, arabe et international. Il est en
effet le seul musée à présenter le judaïsme comme une composante
culturelle fondamentale de la civilisation marocaine.
Zhor Rhihil
est une Musulmane marocaine conservatrice de ce musée unique depuis sa création en 1997. Aux côtés du directeur Simon Levi et d'une équipe dévouée de Marocains et de Juifs, cette historienne anthropologue, formée à Paris et au Maroc, travaille à documenter la contribution historique de la communauté juive marocaine.
Alors que la communauté juive du Maroc, peu nombreuse mais très active, célèbre le Nouvel an juif cette semaine,
Magharebia a demandé à Mme Rhihil de parler de ce musée et de son rôle
dans la préservation du patrimoine culturel judéo-marocain.
Magharebia: En quoi le Musée du patrimoine judaïque marocain de Casablanca est-il spécial ?
Zhor Rhihil:
C'est le seul musée à traiter de la culture et du patrimoine juif dans un pays arabo-musulman. Les autres institutions juives spécialisées
dans le patrimoine et les arts juifs sont, pour la plupart, situés en Europe et aux Etats-Unis.
Magharebia: Comment ce musée peut-il préserver la culture judéo-marocaine alors qu'il ne reste que si peu de Juifs dans le pays ?
Rhihil:
C'est ce que nous appelons notre défi. Nous sommes conscients que le
nombre de Juifs vivant au Maroc a diminué très fortement il y a plus de
soixante ans. Cette situation historique connue par le Maroc n'est en
aucune cas unique, on la retrouve dans tous les pays arabes. Depuis la
création de l'Etat hébreu en 1948, le monde arabe a perdu pratiquement
tous ses ressortissants juifs.
Cela a été le cas au Maroc, en Tunisie, en Algérie, en Syrie, au Liban, en Egypte et au Yémen. Tous ces pays ont perdu leurs communautés juives, qui avaient une empreinte sur la culture et la civilisation.
Ainsi, lorsque nous parlons du patrimoine, de la culture et de la civilisation
marocaine, nous devrions expliquer l'ensemble des éléments riches et
variés qu'ils comportent - amazighs, africains, méditerranéens, juifs, arabes et andalous. Tous ont enrichi la culture et le caractère du Maroc.
En tant que conservateurs de ce musée, nous regrettons le patrimoine que nous avons perdu. J'estime que chaque composante juive marocaine est essentiellement marocaine avant d'être juive. Aujourd'hui, nous estimons que nous avons perdu une partie de cette caractéristique marocaine. C'est ce sentiment qui a conduit un certain nombre de Marocains, quelle que soit leur religion, à mettre leurs efforts en commun.
Nous, Juifs et Marocains, travaillons dans un musée judéo-marocain. L'initiative de sa création a été prise par ce que nous, au Maroc, appelons le Conseil des communautés juives du Maroc, en collaboration avec les Etats occidentaux, en reconnaissance des efforts déployés par les Marocains
pour maintenir et préserver cet héritage qui constitue le patrimoine marocain. Parallèlement, c'est notre devoir de faire connaître ce patrimoine aux jeunes générations du Maroc.
Les Musulmans cohabitaient avec les Juifs marocains il y a 50 ou 60 ans,
comme voisins et camarades de classe. Ils avaient les mêmes occupations. Mais les Marocains nés dans les années 1970 connaissent peu de choses sur cette époque, qui se caractérisait avant tout par la coexistence, la tolérance et l'inclusion. Ils ne savent pas qu'il y avait autrefois des Juifs marocains, et sont donc surpris lorsque nous parlons de la composante juive et des traditions judéo-marocaines.
Nous sommes ici aujourd'hui pour combler ce hiatus historique et culturel,
et faire connaître aux jeunes d'aujourd'hui la richesse de ce patrimoine judéo-marocain. Il est de la responsabilité conjointe des Musulmans et des Juifs de préserver ce patrimoine, qui nous a permis de bénéficier d'un statut culturel exceptionnel.
Magharebia: Un seul musée au niveau arabe et islamique, comme vous le rappeliez, est-il suffisant pour atteindre ces objectifs ?
Rhihil:
Personnellement, en tant que conservatrice musulmane d'un musée juif,
je trouve cet exemple unique et très particulier, parce que seuls des
Juifs travaillent habituellement dans les musées juifs du monde entier.
Pour moi, c'est une responsabilité énorme, et une source de fierté qui
m'incite à travailler encore plus, parce que je fais office de médiatrice entre Juifs et Musulmans.
Grâce à Dieu, au niveau national, je pense que nous faisons des efforts importants, bien que les ressources soient assez limitées parce que les sommes allouées au domaine de la culture sont toujours minimes. Nous ne disposons pas de moyens financiers gigantesques, comme c'est le cas de plusieurs musées juifs aux Etats-Unis et en Europe. J'espère que d'autres Etats arabes construiront des musées similaires et se mettront en contact
avec nous pour que nous puissions leur fournir l'expertise dont ils auront besoin et les aider à préserver la composante judéo-arabe qui est reconnue dans le monde entier.
Ce musée accueille de nombreux visiteurs, y compris des délégations de chercheurs et des groupes d'étudiants.
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Magharebia: Dans le cadre de votre travail, vous rencontrez de nombreux Juifs marocains. Se sentent-ils en sécurité ici ?
Rhihil:
Absolument. Ils sont certes une minorité, l'histoire est responsable de
leur nombre, mais le Maroc compte encore un élément juif important
comparé à d'autres pays arabes, où les Juifs ont pratiquement disparu.
Le Maroc est le seul pays qui enregistre un grand nombre d'arrivées et de départs de Juifs. Les Juifs marocains sont connus pour leur attachement au Maroc. C'est la raison pour laquelle nombre d'entre eux ont choisi de ne pas partir, ou reviennent en visite très
régulièrement.
Magharebia: En 2003, des kamikazes avaient tué des dizaines de personnes dans des lieux de Casablanca abritant un centre communautaire juif. Les Juifs se sentent-ils menacés dans cette ville ?
Rhihil: Je ne crois pas. Même les Musulmans peuvent souffrir des menaces à la sécurité, que ce soit dans les Etats islamiques, en Europe ou en Amérique. Le terrorisme vise aussi bien des Musulmans que des Juifs et des Chrétiens. Mais nous devons souligner que son impact au Maroc est assez limité.
Les Musumans marocains ne font aucune différence entre eux et les Juifs
marocains. Le nombre considérable de visiteurs qu'accueille notre musée
symbolise cette coexistence manifeste et incontestable.
Magharebia: Quel est ce nombre de visiteurs ?
Rhihil:
Il est très important. Nous recevons de nombreux visiteurs, notamment
des étudiants qui font des recherches sur le patrimoine marocain et
préparent des thèses ou des mémoires sur la composante juive de la culture marocaine.
Nous avons reçu la visite de groupes scolaires, d'autres doivent suivre. J'espère que les responsables des enseignements d'éducation prendront conscience de la nécessité de faire connaître aux élèves cette culture au sein de notre société. heureusement, nous disposons de ce musée à Casablanca, qui, nous l'espérons, attirera les enseignants. Je saisis d'ailleurs cette occasion pour inviter les établissements scolaires et leurs directeurs à accompagner leurs élèves lors de ces visites. Notre musée propose en effet de très nombreuses informations et des documents historiques qui renforceront certainement leurs connaissances et leur culture.
Les visiteurs peuvent voir des exemples de vêtements juifs marocains et de nombreux autres objets.
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Magharebia: Qu'est-ce que le musée propose à ses visiteurs ?
Rhihil:
Il s'agit d'un musée ethnographique qui présente de nombreux objets du patrimoine et de la culture judéo-marocains, des rites religieux des Juifs du Maroc, sous un angle spécifique et non judaïque au sens large.
Par exemple, nous présentons des caftans marocains, un vêtement commun à tous, des
jallaba de rabins et de Marocains, plusieurs outils
traditionnels autrefois utilisés pour les taches ménagères, ainsi que
des occupations traditionnelles marocaines que les Juifs pratiquaient
aux côtés des Musulmans. Nous présentons également un certain nombre de temples marocains, que nous appelons des
Bay’a, dont de nombreux styles existent au Maroc : amazigh, européen, sans parler des styles que l'on trouvait dans les anciennes villes comme Rabat, Meknès,
Fez, etc.
Articles liésCe qui est important, c'est qu'il s'agit d'un vaste espace qui accueille les visiteurs, qu'ils soient musulmans ou juifs, en présentant la composante judéo-islamique de la culture marocaine.
Magharebia: La différence de religion ou de culture est-elle un obstacle dans la cohabitation avec les Juifs ?
Rhihil:
Absolument pas. Personnellement, je n'y vois aucune espèce de
difficulté. Nous spécialiser dans des domaines comme le patrimoine ou
les sciences humaines nous permet de mettre de côté les différences de
confession.
Ce que les Marocains ne savent pas, c'est ce qui rassemble Juifs et Marocains dans notre pays, le Maroc. Nous parlons le même dialecte, mangeons les mêmes choses et partageons les mêmes goûts et la même mentalité. Ce que nous partageons est bien plus important que la religion. C'est la culture, l'art et la musique arabes.