Entretien avec Lalla Tahmidoucht
IVan Boccara est documentariste. Né au Maroc en 1968, il y a vécu jusqu'à l'âge de 18 ans. Depuis 1986, il vit entre la France et le Maroc. Cela fait plus de dix ans qu'Ivan Boccara parcourt l'Atlas. Ses recherches l'ont mené la première fois vers une famille de Berbères qui vit en autarcie dans une région isolée entre le Haut et le Moyen Atlas au sein de laquelle il a pu recueillir des témoignages authentiques.
Extraits.
« Je ne me souviens pas de ma date de naissance, une tante m'a dit que je suis née quelques années avant que les Français n'arrivent au Maroc. Regarde mes cheveux, ils sont blancs, ça se voit que je suis vieille ». « Les femmes à l'époque battaient le beurre dans les outres en peau, elles transportaient le blé sur leur dos, elles avaient la peau toute écorchée des travaux du quotidien. Les femmes de mon temps étaient de cuir, robustes, fortes d'un travail très dur, aujourd'hui les femmes sont en plastique, elles ne font plus rien, elles deviennent délicates et ne peuvent plus rien faire. Elles préparent le pain pour le lendemain. À l'époque, la femme prenait à chaque fois le grain pour le moudre avant de faire son pain. C'est comme ça, « Imkinnar ».
Les femmes, aujourd'hui, battent le beurre dans des bidons en plastique, elles produisent tellement peu de beurre qu'elles ne pourraient même pas t'offrir de quo i te graisser les cheveux, elles t'offrent du café noir et un morceau de pain. De mon temps, les cruches étaient pleines de lait, de farine, de semoule... Aujourd'hui les femmes ne moulent plus le grain à 1a main, elles l'emmènent au moulin, chez Aït Hsseïn ou vont l'acheter au souk. Bientôt on fera moudre le blé dans des machines et le pain en sorti ra tout prêt, ensuite l'homme viendra donner la becquée à sa femme.
La femme d'aujourd'hui ne fait plus rien !
Les femmes d'aujourd'hui sont en plastique, elles veulent se maquiller, passer leur temps à se brosser les cheveux et il faut encore que tu leur emmènes de la farine pour qu'elle n'ait pas à moudre pour .faire le pain, en plus il faut que tu lui amènes un Butagaz, pour qu'elle n'ait pas à aller couper du bois pour le feu.
« Imkinnar », c'est comme ça, c'est ça la vie, la vie qui se déroule et puis c'est tout, il n'y a rien d'autre, tout est entre les mains de Dieu, c'est comme ça, « lmkinnar... ».