MAROC PAYS QUI M'A VU NAITRE PAR SOLY ANIDJAR
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MAROC PAYS QUI M'A VU NAITRE PAR SOLY ANIDJAR

HISTOIRE DES JUIFS DU MAROC-CASABLANCA-RABAT-MAZAGAN-MOGADOR-AGADIR-FES-MEKNES-MARRAKECH-LARACHE-ALCAZARQUIVIR-KENITRA-TETOUAN-TANGER-ARCILA-IFRANE-OUARZAZAT-BENI MELLAL-OUEZANE
 
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 SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS

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Soly Anidjar
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MessageSujet: SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS   SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Icon_minitimeDim 7 Nov 2010 - 7:27

Cette rubrique est consacré au souvenir du Maroc, des Français, Espagnols, Portugais, Italiens et autres Européens.
Mais aussi une source étonnante d'informations détaillées sur l'état du Maroc mœurs, coutumes au milieu du XIXème siècle, sous le règne du sultan Abd-er-Rahman... C'était 25 ans avant l'expédition accomplie par Charles de Foucauld qui allait enfin lever le voile sur la géographie de l'intérieur du pays.
Le Maroc de cette époque est très différent du Maroc d'Aujourd'hui.

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MessageSujet: Re: SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS   SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Icon_minitimeDim 7 Nov 2010 - 7:31

Les francais et les espagnols nés au Maroc, m'ont écrit en me demandant d'ouvrir une rubrique sur les européens au Maroc, voila c'est fait, écrivez vos souvenirs.
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Le Livre Souvenirs d'un forestier français au Maroc (1952-1968)
Détail de l'ouvrage
SOUVENIRS D'UN FORESTIER FRANÇAIS AU MAROC (1952-1968)
René Jacquot
Biologie, écologie, agronomie
BIOGRAPHIE, AUTOBIOGRAPHIE, TÉMOIGNAGE, RÉCIT GÉOGRAPHIE HISTOIRE MAGHREB, MONDE ARABE, MOYEN ORIENT Maroc

Ces souvenirs d'un agent technique des Eaux et Forêts du Maroc décrivent la vie et le travail de l'auteur dans des postes "de bled" entre 1952, début des revendications fortes d'indépendance, et 1968 après 10 ans d'exercice de celle-ci. L'auteur présente de très vivants témoignages sur la vie des populations dans les campagnes berbères, et la flore forestière et la faune donnent lieu à des descriptions précises.

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MessageSujet: Re: SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS   SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Icon_minitimeDim 7 Nov 2010 - 7:39

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MessageSujet: Re: SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS   SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Icon_minitimeDim 7 Nov 2010 - 7:50

Année 1942.

Avant le 8 novembre 1942, il ne se passe pas grand chose dans ma vie de soldat, aussi je me contenterai d'un survol rapide de cette période qui me voit, après mes “classes”, intégrer le bureau de mon escadron en tant que secrétaire chargé de la tenue des pièces matricules (livrets militaires des personnels) et d'établir la solde (la rémunération) des hommes de troupe. A présent, il me faut attendre d'avoir au moins un an de services pour pouvoir prétendre être admis à suivre les cours d'un peloton d'élèves brigadiers (élèves‑caporaux) c'était ainsi à l'époque.

A la fin de mes classes, j'ai réussi à obtenir le permis moto et, en cas de mobilisation, je serai utilisé comme estafette‑moto et me vois attribuer une petite moto Terrot de 125 cm3 avec laquelle je ne sors que lors de rares exercices mais dont l'entretien est à ma charge et que je dois présenter chaque samedi à la revue de matériel. Je participe aussi aux marches de l'escadron. Nous allons au moins deux fois par mois, à pied bien sûr, faire nos exercices de tir au camp de Mediouna ( à 20 km environ de Casablanca ) ainsi que des exerci­ces d'escalade de falaises au bord de l’océan, au sud de Casa, tout près d'Anfa.

A ce sujet, une anecdote : lorsque nous revenons de ce dernier exercice, nous passons obligatoirement devant l'Hotel d' Anfa où est installée la Commission d' Armistice allemande et, au pas cadencé, en rang, par trois, l'arme sur l' épaule nous chantons à pleine gorge le chant de notre régiment et, plus parti­culièrement le passage suivant : “Même à Sedan, de sinistre mémoire, les vieux chas’ d' Af' souriaient en chargeant, et le boche osant à peine y croire, bien malgré lui dit : Ah! Les braves gens!..” A ma connaissance, cela ne nous a jamais valu la moindre récrimination.

En réponse à des cartes inter-zones que j'ai envoyées en décembre tant à ma mère qu'à mon père, je reçois, en mars, une réponse m'annonçant que ma mère a quitté Mont de Marsan et est revenue à Parentis en Born vivre à nouveau avec mon père dont elle avait divorcé en 1931. Sans grand espoir qu'elles leur parviennent, je leur adresse quelques photos de leur militaire de fils. Elles n'iront pas plus loin que Marseille d'où elles me seront retournées avec la mention “ acheminement impossible “.

Au printemps, un nouveau contingent d'engagés nous arrive et, parmi eux, un jeune Marseillais, Jacques Lamotte, qui deviendra aussi un excellent ami. Et c'est la vie de garnison, vécue au jour le jour. Nos officiers nous entretiennent de temps à autres de ce qu'ils savent et nous demandent de continuer à espérer que le jour de la revanche finira bien par arriver. A dire vrai, cela nous semble, pour le moment, assez mal parti car, si les Russes défendent toujours âprement Stalingrad, Rommel, par contre, devant El Alamein, mène la vie dure à la 8ème Armée dont le Maréchal Montgomery vient de prendre le commandement. Nous n'avons pas de radio pour nous tenir au courant mais nous lisons les journaux locaux ( le Petit Marocain et La Vigie ) que des yaouleds viennent nous proposer à l'enceinte du camp. Dans ces journaux, pratiquement pas de censure (ils diffusent les informations données par Radio Tanger et Radio Sottens, parfaitement neutres.

Fin octobre, j'ai 19 ans et 1 an de services, je vais pouvoir suivre les cours du peloton d'élèves gradés qui doit commencer incessamment.

J'en arrive au mois de novembre 1942 qui va marquer un grand tournant, non seulement dans ma vie, mais aussi dans l'histoire de la seconde guerre mondiale.


7 Novembre 1942

N

ous sommes, autant qu'il m'en souvienne, un samedi. Lasserre, Lamotte et moi sommes sortis du camp vers 18 heures, titulaires d'une permission de spectacle valable jusqu'à minuit. Tout est très calme lors de notre départ. Après une escale à l' Automatic nous allons au cinéma, Place de France, voir un film américain dont j'ai oublié le nom. Après les actualités et l'entracte, le film a commencé depuis déjà un moment quand tout à coup, la projection est interrompue, la lumière inonde la salle, le gérant monte sur la scène et déclare : “L'autorité militaire donne l'ordre à tous les militaires présents de rejoindre immédiatement leurs unités, des camions les attendent pour les ramener.” Tous les trois nous sortons et trouvons, dans les camions, d'autres camarades. Entre nous, les supputations vont bon train.. Que se passe t'il ? Les Allemands ont ils attaqué l'Espagne ? Ou bien : Pétain a t'il été assassiné ? En fait, personne parmi nous ne songe un instant à l'imminence d'un débarquement anglo-américain en Afrique du Nord , l'opération Torch.

Lorsque nous arrivons au Camp nous le trouvons en ébullition. Nous recevons l'ordre de nous mettre en tenue de combat et de nous tenir prêts à partir en opérations dans un délai de 2 heures. D'abord il s'agit d'aller aux garages, de mettre tous les véhicules en état de fonctionner à l'essence (opération simple à laquelle nous sommes tous entraînés et qui consiste en un simple échange de gicleurs des carburateurs.) Puis c'est la perception de l'armement, des munitions, des vivres, confection des paquetages de campagne. Tout cela est rondement mené, sans affolement car, si nous ne savons pas exactement à quoi correspond cette “mise sur pied de guerre”, il se murmure que les Anglais et les Américains se prépareraient à débarquer en Afrique du Nord et, plus précisément pour ce qui nous concerne, sur la côte marocaine. Nous, qui suivons anxieusement avec la presse, le déferlement japonais sur le Sud Pacifique d'une part, d'autre part l'inexorable avance de Rommel et de son Afrika Korps en direction du Caire, sommes un peu perplexes et nous nous demandons comment, avec tous les “emm....nuis” auxquels ils ont à faire face en ce moment, les Anglo-américains peuvent ils mettre sur pied une aussi monumentale opération. Et pourtant !

Quatre heures du matin ce 8 novembre. Mon escadron est prêt depuis longtemps à partir, nous attendons les ordres. Tout est calme, pas un bruit. Soudain, en direction de l'ouest, un vrombissement d'avions se fait entendre et s'amplifie en quelques secondes, on voit leurs feux de positions, ils viennent de l'océan et volent très bas. Pas un coup de feu, pas une bombe, mais une multitude de tracts qui tombent sur le camp et tout à l'entour. J'en ramasse un, il est rédigé en Français et en arabe. Signé du Général Dwight Eisenhower, il nous dit à peu prés ceci “Nous venons en amis pour vous aider à vous débarrasser du joug nazi, ne tirez pas sur nous et il ne vous sera fait aucun mal.” L’opération Torch vient de commencer.

Malheureusement le Général Nogues, qui commande au Maroc, a décidé qu'il s'opposerait par la force à tout assaillant quel qu'il soit. Il a même fait arrêter et interner (nous l'apprendrons plus tard) le Général Bethouart, son adjoint, qui, lui, ne voulait pas combattre les Anglo-américains. Obéissant aux ordres de Nogues, aviateurs et marins qui disposent d'armes de DCA (Défense Contre Avions) ouvrent le feu sur les avions lanceurs de tracts qui, dans le courant de la matinée vont revenir avec autre chose que des tracts.

Vers sept heures nous recevons l'ordre de partir, direction le port de Casablanca où se trouvent quelques unités de la marine de guerre, dont le cuirassé Jean Bart (qui a réussi à quitter Brest, où il était en cours de finition, en juin 1940, quelques heures seulement avant l'arrivée des Allemands. Il est à quai il ne peut prendre la mer, ses machines n'étant pas en état, et il ne dispose que d'une tourelle de 3 canons de 380mm avec laquelle, dans la matinée, il tirera sur l'escadre US qui se trouve au large. Il y a aussi les croiseurs Gloire et Primauget ainsi que deux ou trois navires plus petits (torpilleurs ou contre-torpilleur je crois) dont Le Milan.

Sur le port, nous ne faisons rien d'autre que “compter les coups” car, en effet, voilà les avions US qui reviennent, bien reconnaissables à leurs bouts d'ailes carrés (j'apprendrai plus tard que ce sont des Grumann Martlet de la Marine US.) Ils s'en prennent tout d'abord à l'aérodrome du Camp Cazes où se trouvent quelques avions français et des batteries de DCA qui ont ouvert le feu en premier; on entend quelques bombes exploser et, bientôt, nous voyons un gros nuage noir monter dans le ciel. Les dépôts de carburant et de munitions de l'aérodrome brûlent. Depuis le quai, toujours amarré, le Jean Bart tire vers le large avec ses 380mm Vers 9 heures, la riposte ne se fait pas attendre. D'où je suis, je vois les Grumann Martlet, très haut au-dessus du port, basculer l'un après l'autre et piquer sur les navires français qui ont pu franchir les passes et font feu de toutes leurs pièces de DCA. En entamant leur ressource, les avions lâchent leur bombe. Le Milan, qui navigue à environ 2km de nous, en reçoit une en plein sur son arrière et, à la jumelle, émergeant de la fumée de l'explosion, je vois une mitrailleuse lourde tournant toute seule autour de son axe, pointée vers le ciel, mais il n'y a plus trace de son servant, sans doute volatilisé.

C'est dément d'assister ainsi à la guerre en spectateur, comme au cinéma, car nous voyons bien que ces bombes ne nous sont pas destinées!

Bientôt les avions ne sont pas seuls à entrer en action et, dans un vacarme semblable à celui que ferait un train rapide lancé à grande vitesse, avec un même déplacement d'air une volée de gros obus tirés par les cuirassés US (au moins du 380mm) s'abat sur le port et ses environs. Je n'ai pas eu le temps d'avoir peur car les plus proches explosions ont eu lieu à plusieurs centaines de mètres derrière nous, dans des terrains vagues. Et cela continue, de façon sporadique, tout au long de la journée.

Dans l'après-midi, un peloton de mon escadron est envoyé en reconnaissance sur la route côtière Casa-Rabat, voir si l'itinéraire est libre car le groupe d'escadrons de Casa a reçu l'ordre de rejoindre au plus tôt le gros du Ier Régiment de Chasseurs d'Afrique à Rabat. Avant d'arriver à Fedala (environ à mi-chemin entre Casa et Rabat), ce peloton doit faire demi-tour après avoir constaté que les Américains débarquent en grand nombre sur les plages avec des chars amphibies et que la route est coupée. Pour rejoindre Rabat, il va donc nous falloir faire un grand détour par l'intérieur des terres, aussi partons-nous, en fin d'après-midi, pour Camp Boulhaut, puis Camp Marchand où nous allons passer la nuit.

Le 9 novembre, il pleut; nous avons quitté la route asphaltée et roulons sur des pistes en direction de Temara où nous retrouverons la route directe Casa - Rabat, à environ 10 km de cette dernière ville. Pour les camions de mon escadron et les chars Hotchkiss et Renault du 2ème Escadron, le fait de rouler sur la piste ne présente pas de difficultés particulières. Pour ce qui me con cerne, avec ma petite Terrot 125 cm3, motocycliste assez inexpérimenté que je suis, sur cette piste argileuse et très mouillée, j'essaie de rouler et j'éprouve bien des difficultés à le faire. En effet, tous les 300 ou 400 mètres je suis obligé de mettre pied à terre pour enlever les paquets de glaise qui, coincés entre les garde boue et les roues, m'empêchent d'avancer. Un vrai cal­vaire et je ne tarde pas à me retrouver seul, mais pas le dernier car le camion de dépannage est loin derrière moi, s'occupant à réparer d'autres véhicules en panne. 300 mètres par 300 mètres, je continue à avancer dans une plaine de boue rougeâtre, sans un arbre, sans une maison où une “mechta” (maison arabe), un vrai bled dans tous les sens du terme, alors que la pluie a enfin cessé.



P

eu avant midi, alors que, une fois de plus, je suis occupé à me désembourber, voici un visiteur. Un Grumann passe par-là, en rase-mottes. Je ne suis pas très fier mais, comme j'ai mon mousqueton (genre de carabine) en bandoulière, le pilote voit bien que je ne nourri aucune intention hostile à son égard (d'ailleurs, s'il en allait autrement, ce serait, pour le moins, un peu présomptueux de ma part.) Il se contente donc de tourner deux fois autour de moi en faisant, derrière son cockpit, un petit geste de la main que je prends comme un encouragement à continuer mon travail et, prenant de l'altitude, il met le cap à l'Ouest. Enfin, je rejoins la colonne qui, avant d'arriver à Temara, s'est arrêtée pour permettre un regroupement de ses éléments, puis, au bout d'un moment, nous repartons. En tête se trouve, derrière la voiture du Capitaine Blacas, le peloton des 3 automitrailleuses Laffly (engins antédiluviens dotés d'un toit ouvrant permettant le tir contre avions d'un fusil mitrailleur 24-29 (fabriqué en 1924, modifié en 1929.) Ensuite, encadrés par les motocyclistes qui vont et viennent le long de la colonne, la kyrielle des camions de personnels et de matériels, jusque et y compris la bonne vieille cuisine roulante, communément appelée la roulante.

La colonne s'engage sur la route Casa-Rabat et entre dans Temara lorsque survient une escadrille de Grumann. Dans quelques instants cela va être le drame. Nous ne serons plus les spectateurs mais les acteurs et aussi les victimes d'un lamentable film de guerre, d'une épouvantable tragédie.

Qui a donné l'ordre aux automitrailleuses Laffly d'ouvrir le feu? Sans doute quelqu'un qui s'estimait tenu d'obéir aux ordres du Général Nogues. Le fait est que, si le tir de nos fusils-mitrailleurs n'a eu aucun effet contre les avions, par contre, il a entraîné, de leur part, une riposte particulièrement sanglante. Prenant la route d'enfilade, faisant feu de toutes leurs mitrailleuses de calibre 50 (12,7mm) ils ont fait un véritable carnage. Environ un trentaine de tués (dont le capitaine Blacas dans sa voiture, une balle de 12,7mm en pleine tête) mes camarades Samson, Letang, Verpilier, Vesperini, Muiron, Philippoteaux. et une soixantaine de blessés plus ou moins graves. Autant dire qu'en quelques minute mon escadron a pratiquement cessé d'exister.

En ce qui me concerne, dès le début du mitraillage je me retrouve avec ma moto dans un fossé, sous un fourré de figuiers de barbarie (espèce de cactées) dont je ne sens vraiment pas les épines. La plupart de nos camions sont en flammes, partout ce ne sont que cris et hurlements de douleur. Les avions partis, je me relève. Pour moi, c'est l'apocalypse, le cauchemar éveillé. Dans la fumée des incendies je vois surgir des ombres, des camarades tout aussi hébétés que moi, assommés par l'immensité du désastre que nous venons de subir. Je retrouve Lasserre et Lamotte qui, par chance, sont comme moi indemnes. Avec d'autres camarades nous nous mettons en devoir d'écarter des flammes quelques blessés et de les secourir au mieux. Une épouvantable odeur de chair grillée empeste l'atmosphère. Quelques gradés rescapés remettent un semblant d'ordre et dressent un premier bilan. Le camion qui transporte le bureau de l'escadron n'a pas trop souffert, néanmoins le chef comptable (Major Douillet) a été grièvement blessé, le Maréchal des Logis (sergent) Oswald blessé aussi mais plus légèrement.

Voilà donc de quelle façon, alors que j'ai à peine 19 ans, je viens de recevoir mon baptême du feu. Les Anglo-américains venaient pourtant en ami et ils ont été contraints de nous tirer dessus comme à Mers El Kebir. Malheur à ceux qui ont voulu cela.

Dans la soirée, ce qui reste de notre 5ème escadron réussit péniblement à regagner Rabat où, comme opérationnellement parlant, il ne représente plus rien, il est mis au repos et panse ses plaies. Nous apprenons que, comme à Fedala, les Américains ont débarqué au nord de Rabat, à Sidi Bou Knadel et Mehdia malgré une défense “très musclée” du 8ème RTM (Régiment de Tirailleurs Marocains). De même, à Oran et Alger les Anglais ont débarqué mais, comme certains chefs français tant civils que militaires, étaient, comme l'on dit vulgairement, dans le coup, contrairement à ce qui s'est passé au Maroc, il n'y a pas eu de résistance notoire de la part de l'Armée Française. Heureusement d'ailleurs, sans quoi Hitler aurait eu le temps de reenforcer sérieusement l'armée de Von Arnim qu'il avait envoyé en Tunisie pour protéger les arrières de l'Afrika Korps et s'opposer à la prise de Bizerte par les Anglo-américains.

Le 11 novembre, l'armée française du Maroc cesse toute résistance. Décidément, les 11 novembre semblent voués aux fins de conflits, mais celui-ci ne sera jamais particulièrement fêté. Le 12 novembre, ce qui reste du 5ème escadron du 1er Régiment de Chasseurs d'Afrique revient au camp de la Jonquière à Casablanca pour se remettre en état et préparer son déménagement définitif pour Rabat que nous rejoindrons dans quelques semaines.

De nous retrouver si peu nombreux dans ces bâtiments, que nous avons quitté depuis seulement cinq jours, mais quels jours, nous serre le cœur. Ce soir, un nouveau trompette sonne l'extinction des feux. De nos fenêtres nous regardons avec tristesse cette cour d'honneur aux quatre coins de laquelle, le soir, notre camarade Philippoteaux, trompette de talent, venait sonner cette même extinction des feux. Quand il en jouait, pour notre plus grand plaisir, la sonnerie dite « de fantaisie », pleine d'arabesques, de trilles, cela nous prenait aux tripes, nous incitait au recueillement, nous invitait à penser à ceux que nous aimons. C'était un véritable moment d'émotion et me comprendront ceux qui ont eu l'occasion de voir l'excellent film de F. Zinneman « Tant qu'il y aura des hommes » (1953) qui, en anglais, a pour titre, je crois « From here to eternity » dans lequel le clairon Prewitt (Montgomery Clift) sonne lui aussi une extinction des feux très prenante après la mort de son ami Maggio (Frank Sinatra) Notre camarade, notre ami Poteau, comme nous l'appelions, et beaucoup d'autres, ne sont plus. Ce premier soir nous les pleurons.

Pendant 48 heures nous sommes consignés au camp. Le sang de nos morts est encore trop frais pour que nous puissions aller à la rencontre des GI's qui sont à présent en grand nombre à Casa. Certes, ils n'ont pas tiré les premiers et beaucoup comme moi ne les tiennent pas pour responsables de la tragédie qui nous a endeuillé. Et puis, très vite, tout le monde comprend qu'il faut tourner la page, d'autant que nous apprenons que, en riposte à l'opération Torch, en France, la Zone Libre a été envahie par l'armée allemande et que, à Toulon, la flotte française s'est sabordée pour ne pas tomber entre les mains d'Hitler. Par ailleurs, les premières divisions US débarquées, combattant conjointement avec les troupes françaises de Tunisie, ont pris contact, à la frontière algéro tunisienne, avec les troupes allemandes de Von Arnim.


Les Americains

P

eu après la mi novembre nous sommes autorisés à sortir en ville et nous y rencontrons les premiers Rangers (Commandos) qui ont été les premiers à débarquer sur les plages, hauts en couleurs, forts en gueule, roulant les épaules, le Colt 45 pendant assez bas dans son étui de cuir attaché au ceinturon de toile, mâchant leur chewing-gum ou certains (les noirs surtout ), mâchant quelque chose qui ressemble à du chocolat mais qu'ils crachent en jets noirâtres et qui, en réalité, est du tabac à mâcher imprégné d'une sorte de miel. Ils fument aussi des cigarettes dont nous français, avons perdu le goût depuis de longs mois et dont nous humons avec délices la fumée. Ces Rangers n'en sont pas avares, aussi les Lucky Strike, Old Gold, Camels, Chesterfields et autres Philip Morriss trouvent‑elles beaucoup d'amateurs ce qui nous change beaucoup des cigarettes dites “de troupe” auxquelles il a bien fallu nous habituer.

D'emblée, les Rangers cherchent à devenir nos amis et, comme ils ne manquent de rien, voyant que nous manquons de beaucoup de choses ils ont le cadeau facile et, lors de nos sorties en permission, il est bien rare que nous rentrions au Camp sans emporter quelques paquets de cigarettes, de chewing-gum ou barrettes de chocolat, mais aussi, parfois, des boites de conserves de pork and jam, meat and beans or meat and vegetables stew, ces dernières beaucoup moins prisées.

Nous sommes en admiration devant leur équipement, la qualité et l'adaptation à la vie en campagne de leurs uniformes. Notre tenue, par contre, les laisse perplexes, notre chéchia (coiffure) rouge avec 3 bandes noires les laisse rêveurs, de même que la façon de porter notre uniforme (veste rentrée dans le pantalon, large ceinture rouge en flanelle enroulée autour de la taille et ceinturon de cuir bouclé par-dessus le tout) mais ce qui provoque chez eux une franche hilarité c'est la vue de cette pièce d'équipement pour le moins obsolète : Je veux parler des bandes molletières dont nous sommes toujours dotés. Les GI's ne comprennent vraiment pas comment l'armée française à pu ignorer que les leggins existent depuis des années. Certains, parmi eux, en demandent en guise de “souvenir” et donnent volontiers une cartouche de cigarettes contre une paire, même usagée, de ces fameuses “bandes”.

Nous, ce qui nous étonne le plus c'est la sophistication du matériel dont ils sont dotés. En comparaison, le nôtre se situe à des années-lumière en retrait. Tout d'abord, ce sont les chars amphibies qui ont amené sur les plages les vagues de Rangers. Des chars, qui flottent et avancent grâce à leurs chenilles munies d’aubages. Cela nous semble irréel, nous n'en croyons pas nos yeux et pourtant. Pour ma part, par la suite j'aurai l'occasion d'approcher de bien plus près ces fameux LVT (Landing Vehicle Tank) quand, de 1952 à 1954 au Vietnam, j'en aurai une dizaine sous mes ordres à la Légion Etrangère où je servais comme Lieutenant au 1er Groupement Amphibie du 1er Régiment Etranger de Cavalerie. Il s'agira alors de matériels que les US Marines ont utilisé dans la Guerre du Pacifique, glorieux vétérans rescapés des débarquements de Tarawa, Kwajalein, Saipan, Leyte, Ivojima ou Okinawa et qui allaient terminer leur carrière sur les plages d'Annam ou la boue des rizières de Cochinchine ou du Tonkin.

Un autre engin nous surprend également beaucoup: cette petite voiture tout terrain fabriquée par Willys Overland, cet engin “tous usages” General Purpose, en abrégé GP et qui est déjà devenu la Jeep. Pour moi, qui n'ai jamais que 19 ans et m'étonne encore de beaucoup de choses, on dirait un jouet, mais un jouet qui deviendra très vite indispensable et connaîtra une vogue phénoménale qu'elle à d'ailleurs toujours conservée.

Avant même que novembre soit terminé, le port de Casablanca connaît un énorme trafic. Les installations portuaires n'ont pratiquement pas souffert des combats et les “Liberty ships” et autres cargos venus des States et d'Angleterre se succèdent à un rythme accéléré. Les quais regorgent littéralement de matériels (chars camions, jeeps, canons, avions en caisses, munitions, essence, vivres, vêtements, bref, tout ce qui est nécessaire à une armée en campagne et qui voit ses rangs grossir de jour en jour. Tout cela donne l'impression d'être parfaitement planifié organisé et se déroule dans un ordre remarquable.

A la mi-décembre, mon escadron, un peu requinqué, son encadrement recomplété, (un nouveau capitaine en a pris le commandement : le Capitaine Guibert ,que, entre nous, nous baptisons familièrement « Petit Louis » car il se prénomme Louis et n'est pas très grand, quitte définitivement Casablanca pour rejoindre le gros du Régiment à Rabat où j'intègre, enfin, le peloton d'élèves gradés d'où je sortirai en février 1943 avec le grade de brigadier (caporal).

Le Maroc et l'Algérie étant libérés de la surveillance allemande, tous les Français en âge de porter les armes sont mobilisés, viennent grossir nos régiment et vont permettre d'en créer de nouveaux. C'est ainsi qu'a la fin de 1942, le 1er Régiment de Chasseurs d'Afrique, qui comportait jusqu'alors 6 escadrons de combat en compte désormais 12.

L'année 1942 se termine donc. Maintenant plus question d'avoir des nouvelles de nos familles. On se bat en Tunisie où les chars Sherman américains du Général Patton, si mes souvenirs sont exacts, au col de Kasserine, se sont “frottés” aux chars Panther et Tiger allemands et y ont laissé quelques plumes.

Par contre, heureuses, très heureuses nouvelles, à El Alamein, Monty vient de contraindre Rommel à la retraite et, à Stalingrad, les “Popov” achèvent l'encerclement de la VIème Armée de Von Paulus. Dans le Pacifique, les Marines qui ont débarqué à Guadalcanal en août, après avoir résisté aux attaques japonaises, prennent peu à peu le dessus et sont en passe de contraindre les troupes du Mikado soit à rembarquer, soit à mourir sur place.

Pour ce qui nous concerne, désormais c'est la main dans la main que, avec les Américains et les Anglais nous allons entrer dans la danse et tenter d'effacer la honte de 1940. Mais, auparavant, nous devrons être équipés “de pied en cap” car il est évidemment exclu que nous participions à cette guerre avec les rares matériels, largement périmés, que les Allemands, dans les clauses d'Armistice ont bien voulu nous laisser. Aussi, dès la fin décembre, certains camarades, mécaniciens de profession, repartent à Casa pour participer, dans les chaînes de montage US, à la mise en condition des chars Sherman et autres véhicules dont nous allons être équipés à partir de février 1943.

Je termine cette année 1942 par une anecdote touchant néanmoins à un fait dramatique survenu à ce moment là. Le 24 décembre certains parmi nous, se préparent vers 10 heures du soir, à aller assister à la messe de minuit qui sera dite à la chapelle du Camp Garnier. Mon camarade Huisse, mon voisin de lit, est déjà couché et, apparemment, il dort. Bricoleur en diable, avec une boîte de cigares vide, un morceau de galène (sorte de minerai de plomb) qu'il s'est procuré je ne sais où, du fil électrique et quelques pointes et épingles, un écouteur qu'il se place dans l'oreille, il a donc fabriqué un petit poste radio. A la façon dont il est tourné et les couvertures ramenées jusqu'au ras des yeux, je ne vois pas qu'il a son écouteur dans une oreille. Tout est calme dans la chambre quand tout à coup Huisse se lève brusquement et hurle : On a tué Darlan. L'air hagard il ajoute non, je ne l'ai pas rêvé, je viens de l'entendre sur mon poste! C'est ainsi que j'apprendrai la mort de ce personnage très controversé. L'Amiral Darlan, envoyé par le Maréchal Pétain, s'était trouvé inopinément en mission en Algérie le 8 novembre (il ne semble pas qu'il ait fait partie des autorités qui étaient au courant du débarquement prévu.) Il ne pouvait faire autrement que s'incliner devant le fait accompli et s'était considéré comme le seul “représentant légal” de la France. Ce qui, sans doute, n'était pas du goût de tout le monde, la preuve!

Qui a armé le bras de Bonnier de la Chapelle ? (un étudiant qui vient d'avoir 20 ans) Les avis divergent encore maintenant selon les opinions et la vérité ne sera sans doute jamais établie car, arrêté sur le champ, condamné à mort par une cour martiale, Bonnier de la Chapelle est fusillé le 26 décembre.

http://www.duhamel.bz/souvenir/1942.htm
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suite de l'histoire:
A Mediouna, en djellaba, bandes molletières et armé du « mousqueton », petite carabine à un coup qui équipait, à l’époque, la cavalerie, tant à cheval que motorisée.

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Au 1er RCA en treillis bourgeron, ceinture rouge et ceinturon, lors d’une garde aux garages à Casa, Au camp de la Jonquière.


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suite de l'histoire:
Au 1er RCA. Etape sur la route de Mediouna. Je suis le personnage debout à gauche et revêtu de la gandoura blanche. (Djellaba légère en voile, alors que la djellaba est en drap.)

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suite de l'histoire:
Au 1er RCA, avec, au premier rang, Lasserre, moi et derrière, Ver Haegen, Ferret, Sampieri et (bandeau sur l’œil) Samson, qui sera tué lors du débarquement du 8 Novembre 1942.

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suite de l'histoire:

Eté 42. Mon peloton lors d’un déplacements en vélo à Mediouna. Je suis quelques part dans le fond, Au premier rang, au centre, mon ami Lamotte, qui sera tué le 21 avril 1944 dans son char à Vaihingen, faubourg de Stuttgart.


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suite de l'histoire:

Année 1943.

Début janvier le 1er RCA commence à se trouver singulièrement à l'étroit au Camp Garnier avec ses 12 escadrons de combat et son EHR (Escadron Hors Rang, qui englobe l'Etat-Major du régiment, ses différents services administratifs et logistiques), et encore n'a t'il toujours pas de matériel de combat.. Aussi est-il envisagé dans la perspective prochaine de la perception de ses chars, de lui donner “de l'air et de l'espace” en l'envoyant bivouaquer en dehors de Rabat.

Le 1er février, jeune brigadier frais émoulu, je rejoins mon escadron où mon capitaine m'affecte au PHR (peloton hors rang) où, dans les services administratifs, je prends les fonctions de “comptable matières”, c'est à dire que je suis chargé de réceptionner les matériels chars, véhicules à roues, armement qui vont nous être attribués, d'en assurer la gestion, de comptabiliser les munitions ainsi que les carburants nécessaires à l'utilisation de ces matériels. Ceci pour le “temps de paix” car, pour le temps de guerre, lorsque nous serons engagés dans le combat, j'aurais à apporter, dans n'importe quelles circonstances, avec mes camions, les munitions aux chars qui en manqueraient ainsi que les “jerricans” de carburant qui leurs seraient nécessaires, mais de cela j'aurai l'occasion de reparler.

Vers le 4 ou 5 février, dans le cadre du régiment, mon escadron quitte Rabat en camions et va bivouaquer dans la forêt de chênes-liège d’Ain Sibarra, à une cinquantaine de kilomètres environ à l'Est de Rabat. Chacun des 5 pelotons de l'escadron, un PHR, un peloton échelon chargé des dépannages du matériel auto-chars et les trois pelotons de combat, perçoit 2 tentes “marabout”(tente conique pouvant loger, chacune, une bonne douzaine d'hommes) et la vie au grand air commence. Les futurs pilotes de chars (6 à 7 par peloton) partent à Casa pour recevoir une formation rapide, ce qui ne posera pas de problème particulier car, parmi les “pieds-noirs”, (c'est ainsi que l'on appelle affectueusement les français installés en Algérie et au Maroc) mobilisés, beaucoup sont déjà titulaires du permis “poids-lourds”,

Très rapidement, vers la mi-mars, les premiers chars de 30 tonnes Sherman M4A4 nous parviennent et, en un mois tout l'escadron en est doté (5 par peloton de combat et 2 chars de commandement au PHR) soit 17 chars ; il dispose également de son matériel auto (jeeps, CMC, Dodges, half-tracks) et de la totalité de son armement.

Il a été décidé que, pour chacun des escadrons du 1er RCA, tous les véhicules seraient “baptisés” avec des noms de villes, de régions, de personnages célèbres, de batailles, commençant, par escadron, par la même initiale. Pour mon escadron ce sera la lettre N, c'est ainsi que nous aurons des chars baptisés Narvick, Ney ou Normandie par exemple.

Aussitôt l'école d'équipage commence, puis l'école de peloton afin de rendre, aussi rapidement que possible l'escadron opérationnel. Voilà pour le coté matériel. A présent, il s'agit aussi de nous vêtir car, chacun en convient, notre “accoutrement” du moment est peu compatible avec 1e service à bord d'un char. Les Américains nous fournissent donc un paquetage à peu près identique à celui de leurs GI’s mais, comme nous ne sommes pas “français pour rien”... nos chefs (certains du moins et pas tous, heureusement!) voudraient apporter une “touche” particulière à nos uniformes afin qu'on ne nous confonde pas avec les “boys”. Certains “grands chefs” préconisent que tirailleurs, spahis et chasseurs d'Afrique continuent à être coiffés de la chéchia. Oui, je ne plaisante pas! D’autres estiment que le port de la ceinture rouge devrait être maintenu. Fort heureusement personne cependant ne demande que le port des “bandes molletières” soit préféré à celui des leggins de toile que comporte le paquetage US Il paraît que les Américains n'avaient pas du tout apprécié ces prétentions ridicules et avaient menacé de ne rien fournir. Finalement il est décidé que nous nous distinguerions des “boys” par le port d'une cravate noire au lieu de leur cravate beige, ce qui, d'ailleurs, ne durera pas bien longtemps et nous en viendrons à la cravate beige nous aussi. Toutefois, en tenue de sortie, nous nous distinguerons par le port de “calots d'armes”, identiques quant à la forme aux calots américains mais de couleurs différentes selon les armes (en particulier bleu ciel avec soufflet jaune pour les chasseurs d'Afrique, rouge avec soufflet jaune pour les spahis, bleu très foncé avec soufflet rouge pour les cuirassiers.)

Notre “américanisation” se poursuit dans tous les domaines et nous percevons nos premières rations alimentaires, celles de tous les GI's : rations D, les moins appréciées, rations K, plus substantielles, mais celles que nous préférerons ce sont les rations U, une caisse comportant la ration journalière de 5 personnes, soit un équipage de char. Elles offrent davantage de diversité dans les menus et nous semblent plus consistantes.

Les semaines et les mois passent. Nous suivons avec beaucoup d'intérêt le total retournement de « la fortune des armes. » Les Allemands désormais, reculent partout en Russie mais aussi, et surtout, en Afrique où la 8ème Armée de “Monty” a raccompagné l'Afrika Korps jusqu'en Tunisie, le contraignant à la capitulation. A la mi-mai, il n'y a plus d'Allemands en Afrique.

Pour les Japs aussi c'est le commencement de la fin. L'ère des conquêtes, des succès fulgurants, est passée mais il faudra encore bien des mois et de trop nombreux morts, hélas, pour, enfin, les mettre à genoux.

Fin juin, les équipages de chars ont acquis une maîtrise suffisante de leur matériel pour être considérés désormais comme “opérationnels” aussi, début juillet, le régiment quitte t'il la forêt d'Ain Sibarra pour Rabat et ses environs. Mon escadron va bivouaquer dans la banlieue de Rabat, dans le parc de l'Aguedal. C'est là que nous apprenons le débarquement américain en Sicile, l'invasion de l'Europe a commencé. Le 14 juillet nous défilons avec nos chars dans l'avenue Dar El Maghzen, principale avenue de Rabat.

Fin juillet, alors que je viens d'être promu Brigadier-Chef, le régiment quitte le Maroc pour l'Algérie où nous allons bivouaquer au sud d'Oran, dans la forêt de Boutin (15 kms au sud-est de Sidi Bel Abbés.) Les chars sont transportés par voie ferrée, les véhicules à roues par la route. C'est là que nous participons à nos premières “grandes manœuvres” avec tirs réels avec toutes les armes.

Le 1er septembre, le 1er Régiment de Chasseurs d'Afrique est scindé en deux, donnant ainsi naissance au 1er RCA et au 1er RCA bis, en attendant de lui donner une autre dénomination. Chacun de ces nouveaux régiments est constitué d'un escadron hors rang, d'un Etat-Major, d'un escadron de chars légers, portant le numéro I, et de trois escadrons de chars moyens Sherman, portant les numéros 2, 3 et 4. Mon escadron devient le 4ème escadron du 1er RCA bis, mes amis Lasserre et Lamotte en sont également.

Le 9 septembre, le 1er RCA bis prend le nom de 1er Régiment de Cuirassiers. Ce régiment, chargé de gloire, qui a servi les rois, les deux Napoléon, toutes les républiques, créé en 1635 par Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, a pris à sa création le nom de Turenne-Cavalerie et comme devise celle de son créateur : Certum monstrat iter (La Tour montre le chemin) et a constamment existé jusqu'en juillet 1940 où, décimé après les combats de juin, il a été dissous. Son étendard (c'est le nom que, dans la cavalerie, on donne au drapeau) qui avait été caché pour ne pas tomber aux mains des Allemands, vient d'être ramené en Afrique du nord, via l'Espagne, par un évadé de France qui, si mes souvenirs sont exacts, est un ancien officier du Régiment : le Lieutenant de Chazeaux. Il est remis à notre nouveau chef de corps (commandant du régiment) le Lieutenant Colonel de Gonfreville. Le 1er CUIRS (c'est son appellation courante), d'un effectif total de 900 officiers, sous-officiers et hommes servant 17 chars légers et 56 chars Sherman est intégré à la 5ème DB (Division Blindée) qui prend pour devise “France d'abord”.

Nous apprenons le débarquement américain en Italie et, le 2 novembre, nous quittons les bois de Boutin pour aller nous installer un peu plus au nord, dans la région de Mascara, à Mercier-Lacombe, en cantonnement-bivouac, où nous restons un peu plus d'un mois. Cet automne est très pluvieux, les jours passent lentement. Heureusement que nos camarades “pieds-noirs”, dont beaucoup sont originaires de la région d'Oran, mettent de l'animation dans nos rangs avec leurs orchestres improvisés et leurs chansons. Ah! Messas, Yrles, Pacifico,.Pamies, Navarro, Tognet et les autres, si vous saviez combien votre bonne humeur, votre joie de vivre, nous ont aidés, nous, les “Francaouis” (pour les “pieds-noirs”, les Français de France) à trouver le temps moins long. Rares, parmi vous, étaient ceux qui connaissaient déjà la France, et pourtant vous étiez autant que nous prêts à aller vous battre et peut-être mourir pour elle. Le 11 décembre, le régiment en entier se porte à l'embouchure de la Macta, au fond du golfe d'Arzeuw, en cantonnement à Fornaka. Nous sommes tout près d'Oran et nous nous prenons à espérer que notre embarquement est peut-être tout proche. Eh bien non! Certes, embarquement il y aura, mais à titre instructif seulement. L'escadron suit en effet un entraînement de 3 semaines au Fifth Army Invasion Training Center. Au cours de ce stage les équipages sont entraînés à embarquer dans les LST (Landing Ship Tanks), à arrimer les chars puis, le LST s'étant éloigné d'environ 200 mètres de la plage, de débarquer les chars, entièrement « waterproofés » disparaissant totalement dans l'eau (seules deux grosses cheminées soudées sur les “plaques moteur”: une pour l'admission de l'air, l'autre pour l'évacuation des gaz d'échappement, émergeant de la surface). Guidés par radio ils roulent sur le fond de la mer jusqu'à la plage où ils émergent!. Je n'ai participé à ces exercices que comme spectateur et, aux dires de ceux qui les ont pratiqués, il ne faut pas souffrir de claustrophobie et avoir une totale confiance dans son matériel. Ils sont tout de même, nerveusement très éprouvants.

C’est au cours de ce stage que nous clôturons l’année 1943 et nous commençons à nous demander quand va venir notre tour d'entrer dans la danse, car déjà un Corps expéditionnaire Français a débarqué en Corse et un autre aux ordres du Général Juin participe, avec l’armée du Général Clark, à la campagne d'Italie dans le secteur montagneux des Apennins, au Belvédère et à Monte Cassino.

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Je viens d’être promu brigadier chef
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suite de l'histoire:

Année 1944.

Le 6 janvier I944, le 4ème escadron, avec tout le 1er CUIRS, fait mouvement pour se rendre au Maroc par Saint Denis du Sig, Marnia puis Berkane, au nord d'Oujda, tout près du Marabout de Sidi Brahim (haut-lieu de la conquête d'Algérie où, il y a un siècle, les Chasseurs à pied se sont illustrés contre la smalah d'Abd El Kader). Nous nous installons dans les hangars et locaux mis à notre dis­position par les propriétaires de la ferme Taylor. Nous sommes à quelques kilomètres de la Méditerranée, de la frontière algérienne ainsi que de celle du Maroc espagnol.

L'escadron poursuit son instruction dans le cadre du Groupement Tactique, en coopération avec l’Infanterie ( le RMLE -Régiment de Marche de la Légion Etrangère que nous appelons “le Remeuleu”), 1'Artillerie et le Génie. Nous apprenons à nous connaître les uns les autres, ainsi, lorsque nous nous retrouverons en campagne nous serons déjà habitués à travailler ensemble.

Vers la mi-février je demande au capitaine Guibert, afin de me sortir de la “paperasse”, à être muté dans un peloton de chars. Il est très réticent car, me dit-t-il, je lui donne toute satisfaction dans mes fonctions de comptable matières. Devant mon insistance, il finit par accéder à ma demande et me mute au 1er peloton de chars moyens, commandé par le Lieutenant H.....dont je ne garde pas un souvenir ému. En effet, il m'accueille comme un chien dans un jeu de quilles et me dit qu'il ne voit pas très bien à quel poste il va bien pouvoir affecter le “scribouillard” que je suis à ses yeux. Non, je ne suis pas le bienvenu, aussi, malgré mon ancienneté (je suis le plus ancien des brigadiers-chef du peloton) il m'affecte comme tireur sur le char Nevers dont le chef est un jeune brigadier-chef. Je suis néanmoins décidé à prendre mon mal en patience et fais mon travail du mieux possible. Je serai d'ailleurs appelé à exercer durant quelques jours les fonctions de “chef de char par intérim” durant 1'indisponibilité du titulaire. A longueur de journée le Lieutenant H.....nous vante les “immenses mérites” de l'Armée Rouge qui, seule nous dit-il, fait vraiment la guerre et porte aux nues ses chefs, les généraux Koniev et Joukov. Pour ma part, je crois qu'il voudrait me mener à la schlague mais regrette de ne pas en avoir la possibilité.

C'est ainsi que nous nous préparons à la venue du Général américain Kingman qui, à la tête d'une imposante équipe de spécialistes, va venir nous inspecter sous toutes les coutures. Entretien et connaissance des matériels, aptitude à les servir dans n'importe quelles conditions ou circonstances, qualification des personnels, etc. C'est lui qui, en définitive, décidera si nous sommes prêts ou pas, à faire la guerre avec le matériel qui nous est, depuis un an à présent, confié. Avec tout l'équipage du « Nevers» je mets toute mon ardeur à ce que tout soit parfait, je serre souvent les dents car H.....ne peut décidément pas “me sentir” et ne rate pas une occasion de me le montrer.

Courant mars, la “revue Kingman” se passe et, quelques jours plus tard, le Général de Lattre de Tassigny, qui vient de se voir confier le commandement de la 1ère Armée française, vient nous inspecter, signe, sans doute, que le rapport établi par le Général Kingman nous a été favorable. puis nous avons la visite du Général de Gaulle qui nous assure que nous ne tarderons plus guère à fouler à nouveau le sol de France. Fin mars, le Capitaine Guibert me convoque et me dit qu'il envisage de me rappeler au poste de comptable matières car il est au courant du traitement auquel le lieutenant H.....me soumet. Je n'hésite pas longtemps car je sais que, si je reste sous les ordres de ce monsieur je finirai par y perdre mes galons. Aussi, du jour au lendemain, le Capitaine me reprend comme comptable-matières et, comme j'ai déjà fait mes preuves, suprême camouflet pour le lieutenant H......, dès le 1er Avril je suis nommé Maréchal des Logis (sergent).

Avec mon ami Jacques Lamotte qui vient d'être nommé Brigadier-chef, nous posons une permission de 8 jours pour aller à Alger où nous savons que le Foyer du soldat peut nous héberger. C'est bien là la première permission de détente dont nous bénéficions depuis que nous nous sommes engagés dans l'Armée. En “stop” depuis Oujda, un GMC de l'Armée américaine nous amena jusqu’à Orleansville, puis, de là jusqu'à Alger, ce sont deux charmantes WAAC's (Womens Army Auxillary Corps) conduisant une camionnette d'une unité de Transmissions de l'armée américaine (Signal Corps) qui nous prennent en charge et nous déposent juste devant un de leurs mess. Comme Jacques parle couramment l'Anglais (son père, parfumeur à Marseille, rue de Rome, l'a envoyé, avant la guerre, faire des stages de plusieurs mois en Angleterre) nous n'avons éprou­vé aucune difficulté à nous faire comprendre et à nous faire admettre dans les services d'accueil américain ou anglais. Dieu sait si nous avons pu en boire des “cup of tea” des Guinness, manger des “eggs and bacon” et grignoter des “cookies”!

Ces 8 jours ont très vite passé. Nous n'étions certes pas très “argentés” mais, grâce à l'entregent de Jacques, nous avons été très souvent invités par des soldats anglais ou américains trop heureux de trouver des soldats français pouvant s'exprimer aussi aisément dans leur langue et soutenir une conversation comme Jacques savait le faire.

De retour dès le 15 avril, après plus de trois mois passés dans la région de Berkane, le 24 avril le 1er CUIRS part pour le camp de Bedeau, en Algérie, au sud de Sidi Bel Abbes où les manœuvres succèdent aux manœuvres. C'est là que nous apprenons, le 6 juin, le débarquement allié en Normandie, l'opération Overlord. Quand viendra donc notre tour? Nous sommes de plus en plus impatients.

Le 9 juin, finies les manœuvres divisionnaires, nous quittons Bedeau pour nous rapprocher d'Oran; nous nous installons en cantonnement dans le village de Bou Sfer à une vingtaine de kilomètres à l'Ouest d'Oran. Pour ma part, je suis logé, avec l'adjudant Chamousset, chez une famille très accueillante, les Esclapez. Un mois plus tard, le 9 juillet, nous quittons Bou Sfer et allons nous installer en canton­nement dans les villas de la plage du Cap Falcon (l5 kms à l’ouest d'Oran), réquisition­nées car inoccupées. Pour nous, ce sont des vacances, la plage, les baignades, le bronzage, la pêche, le farniente et, de temps à autre, une permission de la jour­née que l'on passe à Oran. Profitons-en tant qu'il est encore temps car cela ne durera pas. C'est là que nous apprenons l'attentat manqué contre Hitler. Le lieutenant H.....quitte le régiment, muté ailleurs. Sans doute l'y a t-on un peu aidé car, manifestement, il avait fait l'unanimité contre lui. Ouf Bon vent.

Au service “essence et munitions” dont je suis le chef, ont été affectés deux “pieds-noirs” de confession Israélite, Benhamou et Soulam, vivant auparavant à Oujda au Maroc. Bien sûr, ils ne sont jamais allés en France mais ils considèrent comme tout à fait normal le fait d'être mobilisés pour la libérer. Benhamou me montre des photos de lui, prises dans son échoppe de petit tailleur, dans le “mellah” (quartier juif) d'Oujda, en djellaba noire et kippa noire également sur le sommet du crâne. Tous deux reçoivent fréquemment des petits colis envoyés par leurs familles et, très gentiment, m'invitent à les partager; c'est ainsi que je goûte à leurs viandes “casher” (venant de bovins ou ovins tués selon le rite Israélite), conservées dans l'huile d'olive où marinent de tous petits piments qui mettent la bouche en feu.

Le 15 août, nous apprenons que nos camarades de la 1ère DB viennent de débarquer en Provence. Le 25 août Paris est libérée et les Alliés foncent vers le Rhin. La guerre ne va t'elle pas se terminer avant que nous ayons pu y participer ? Le temps nous paraît de plus en plus long et nous sommes tous très impatients de partir! Les jours et les semaines passent lorsque, enfin, dans la nuit du 10 au 11 sep­tembre, l'escadron, avec tout le régiment, fait mouvement pour se rendre dans la zone d'attente d'embarquement (areas) près de Assi Ben Okba (l5 kms à l'est d'Oran), pour un bivouac dans des conditions peu confortables mais qui ne saurait durer longtemps. Une “forêt” de tentes US pouvant loger, chacune 10 hommes. Alignées le long de “rues” qui se coupent à angle droit, très style “american town”. Accroché à chaque “guitoune” un panneau noir et lettres blanches nous rappelle que “Mosquitos bites cause malaria”, Avertissement dont, avec l'esprit frondeur qui nous caractérise nous avons tôt fait de donner une traduction beaucoup plus “leste” que celle prévue.

Dans la nuit du 13 au 14 septembre enfin, l'escadron fait mouvement avec tout le régiment pour s'embarquer au port d'Oran où plusieurs LST nous attendent.

Le 14, nous embarquons avec tout notre matériel, ainsi que le 3ème escadron et l'état-major d'un groupe d'artillerie, sur le LST 502 dont l'équipage, qui n'en est pas à son premier débarquement, est américain. Les véhicules à roues sont arri­més sur le pont où sont également dressées des tentes pour loger les personnels, Dans la vaste cale-hangar sont arrimés, côte à côte, les 34 chars des deux escadrons ainsi que les half-tracks de ces unités.

Le LST est, à l'époque, le plus gros des navires pouvant amener des chars presque jusqu'à la plage grâce à son fond plat, ses deux portes d'étrave s'ouvrant largement et sa rampe d'accès s'abattant, permettant ainsi un débarquement rapide de toute la cargaison.

Le 15 septembre, vers 16 heures, nous appareillons !!! Je regarde s'éloigner cette côte d'Afrique où je viens de passer près de 3 ans et, avec Lasserre et Lamotte, nous pensons à ceux de nos camarades qui, eux aussi, rêvaient de cet instant et qui reposent à jamais, là-bas, du côté de Temara .

Je vais avoir 21 ans mais, comme tous mes camarades du même âge, il y a long­temps que nous ne sommes plus des adolescents mais bien des hommes qui ont déjà eu à se “frotter” à bien des difficultés de la vie. Oui, nous avons déjà “vécu” et nous sommes bien plus “vieux” que nos 21 ans Pour l'instant nous avons tous hâte de retrouver le sol de France pour participer à sa libération. Déjà Besançon et Dijon sont libérées, les troupes débarquées en août en Provence ont fait leur jonction avec celles débarquées en juin en Normandie. Allons-nous arriver trop tard ?

Première nuit à bord. Nous ne sommes pas seuls sur la mer, d'autres LST venus d'Oran ou d'ailleurs nous entourent ainsi que quelques navires d'escorte qui montent une garde vigilante autour de notre convoi qui se forme : La première consigne est donnée au mégaphone, en français, par le commandant de bord: Le « fumage » est interdit, de nuit, sur le pont.

Le convoi suit un itinéraire fait de zigzags, aussi avance t-il lentement. Les jours passent, rien d'autre à faire que penser et dormir. Manger aussi, du moins pour ceux qui le peuvent car, avec son fond plat le LST supporte mal le tan­gage ou le roulis et je me souviens que le pauvre Benhamou, entre autres, a fait pratiquement toute la traversée sans manger, la simple vue d'une gamelle lui don­nant la nausée. Quant aux autres “pieds-noirs” qui avaient le mal de mer, ils vouaient le 502 aux gémonies dans leur langage très imagé : “La pu....rée du 502 qui nous arrache les tripes, dis !'.'.. Moi, ça va, j'ai le pied marin !

Le 18 septembre c'est mon anniversaire. Comme à bord de LST il n'y a pas de cafétéria ( tout le monde est aux rations) nous arrosons cela avec un quart de “Lemon juice”. Le 19 la mer devient un peu grosse et, quand l'étrave du LST, après être montée sur la vague, retombe dans le creux, tout le bateau en frémit dans un vacarme épouvantable, à croire qu'il va se casser en deux !

Le 20 septembre, on nous annonce que les cotes de France seront bientôt visi­bles mais le temps se gâte rapidement, l'horizon se bouche, le vent violent tourne à la tempête et le convoi est disloqué. Sur notre LST des chars se sont désarrimés et se “promènent” dans la cale, heurtant les parois du bateau; avec des madriers, les marins, au péril de leur vie, essayent de coincer les chars “baladeurs”. A la tombée de la nuit la situation est assez critique mais l'opération “madriers” réussit, le LST se met vent arrière et ne remet le cap sur la France que le lendemain. Le temps s'est remis au beau, nous apercevons enfin les roches rouges de la côte de France, cette France que nous avons bien failli ne jamais revoir. Nous sommes tous très émus. Le LST “beache” à quelques mètres de la plage du Dramont, à proximité de Saint-Raphaël, le 21 septembre, vers midi, ses portes d'étrave ouvertes, sa rampe abaissée, les chars déboulent sur la plage. Ils mouilleront à peine leurs chenilles et maintenant ils roulent, enfin, sur le sol de France !



A

ce stade de ma narration, je me dois de préciser que, même si je pense avoir une très bonne mémoire, il m'a fallu me référer au Journal de Marche du 4éme Escadron du 1er CUIRS pour retrouver les dates exactes des faits relatés, des itinéraires précis de mes pérégrinations ainsi que les détails des opérations menées tout comme les pertes en hommes et matériels que je vais rapporter.

Le 21 septembre 1944, quittant la plage au Dramont, par Saint-Raphaël, Fréjus, Sainte-Maxime et Saint Tropez nous allons bivouaquer, avec le reste du Régiment entre Cogolin et La Molle dans le sud du massif des Maures. Première nuit sur le sol de France. Nous humons avec délices les senteurs de l'été finissant. Le lendemain nous restons sur place et en profitons pour réparer quelques chars qui ont un peu souffert de la tempête essuyée durant la traversée et à reprendre quelques forces pour ceux que le mal de mer a éprouvés. Tout près de notre bivouac, à Cogolin, il y a un camp de prisonniers italiens tout heureux de clamer, hilares, que, pour eux : “Finita la guerra!” Pour nous elle n’a pas encore commencé.

Le 23 septembre, le Régiment fait mouvement par Cogolin, Le Luc et Brignoles jusqu'à Saint-Maximin, une trentaine de kilomètres au Nord-Est de Marseille où nous bivouaquons à la sortie de la route qui mène à Aix en Provence. Les civils qui nous voient passer libérés depuis plus d'un mois à présent, ne font plus preuve d'un enthousiasme dé­bordant. Ils nous sourient, sans plus. Seuls, les gamins, nous prenant sans doute pour des Américains, nous demandent toujours chewing-gum et chocolat.

Le 24 septembre, le régiment fait mouvement vers Mallemort, à mi-chemin entre Avignon et Aix en Provence, au bord de la Durance, village dans lequel nous cantonnons avec le 2ème et le 3ème escadron. Nous restons là à nous remettre complètement en état et, parmi nous, ceux qui sont originaires de la région, c’est le cas de Jacques Lamotte, sont autorisés à bénéficier d'une permission de 48 heures. Les autres devront se contenter d'adresser une lettre à leurs parents en espérant que ce courrier ne mettra pas trop longtemps à parvenir à destination car les communications sont loin d'être rétablies partout. Nous en profitons également pour faire prendre quelques photos de tout le personnel de l'escadron, tant que la chose est encore possible, à titre de souvenir que, par la suite, les survivants serons amenés à consulter souvent pour nous remettre en mémoire les visages de ceux qui ne seront plus, ou de cons­tater que les autres, ceux qui s'en sont sortis ont plus ou moins bien supporté le poids des ans.

Le 30 septembre, l'escadron est alerté et doit être prêt à déménager le lendemain. Le 1er octobre l'ordre de mouvement arrive à 11 heures. Les chars doivent embarquer en gare de Miramas, entre Istres et Salon de Provence. Lorsqu'ils arrivent, vers 14 heures, aucun train n'est formé pour les recevoir. Après de nombreuses liaisons télépho­niques l'arrivée des plates-formes nécessaires est prévue pour le 2 octobre vers 4 heures du matin. En fait, le convoi chars ne démarrera que le 3 octobre à 1 heure du matin, direction Vesoul, au sud-ouest des Vosges, à 90 Km au Nord-Est de Dijon.

Le 2 octobre, à 5 heures du matin, je pars avec les véhicules à roues, sous le commandement du Lieutenant de Grasset. En trois jours nous rejoignons la région de Vesoul en empruntant un itinéraire assez tourmenté à cause des destructions de ponts faites par l'ennemi lors de sa retraite et passant entre la vallée du Rhône et les contreforts des Alpes.

Le 4 octobre nous voit arriver au cantonnement à Noidans les Vesoul, à 3 km à l’ouest de Vesoul. Nous sommes le détachement précurseur de l'escadron, c'est à dire chargé, avant l'arrivée de ce dernier, de reconnaître, installer et répartir entre les différents pelotons, le cantonnement. C’est ainsi que nous passons la journée du 5 octobre. Le 6 octobre les chars arrivent après avoir débarqué en gare de Vesoul. Noidans les Vesoul est un tout petit village, un assemblage de vieilles fermes reliées par des routes mal pavées qui, avec le passage de nos engins, vont très vite se transformer en bourbiers et nous allons avoir tôt fait de baptiser le village Noidans la Gadouille. Cette boue est tellement envahissante que, pour éviter que nos chaussures soient trop vite abîmées, le commandement envoie un camion à Gray, 30 kms de Vesoul, chercher un chargement de sabots de bois (authentique!).

Nous ne sommes plus très loin de la ligne de front (à moins de quarante kms à vol d'oiseau) qui semble, pour l'instant, stabilisée. La majeure partie de la France est déjà libérée mais la Lorraine, l'Alsace et le Massif des Vosges sont toujours sous la botte allemande. Les bases alliées de ravitaillement sont encore trop éloignées du front pour qu'une reprise de l'offensive puisse être envisagée, aussi faut-il les rapprocher, ce qui est en cours. Pour le moment, par exemple, il me faut aller cher­cher les jerricans d'essence à plus de 100 kms de Vesoul.

Les jours et les semaines passent lentement dans ce village du bout du monde que ce début d'automne particulièrement pluvieux rend encore plus triste. Enfin, le 27 octobre nous le quittons pour aller cantonner un peu plus au Nord, à Bétancourt ( nous tombons de mal en pis, ce n’est qu'un misérable hameau dont les maisons menacent ruine!) Puis, le 9 novembre, un peu plus à l'Est, à Corbenay, gros village où nous sommes, pour une fois, logés dans des conditions plus qu’honorables. Cela ressemblerait-il à la cigarette que l'on donne au condamné avant son exécution?

Nous participons à la commémoration du 11 novembre 1918, mais nous sentons que les choses s'accélèrent, les Officiers sont de plus en plus souvent appelés au P.C. Poste de Commandement du CC4, Combat Command, en français : Groupement Tactique, dont le 1er CUIRS fait partie. Le CC4 est divisé en 3 sous-groupements tactiques comprenant chacun un escadron de chars Sherman, une compagnie d'infanterie portée sur half-track (du RMLE), une section du Génie et une batterie d'Artillerie (canons de 105 mm.) Chacun de ces sous-groupements se voit attribuer une lettre A,B,C. Mon escadron fait partie du SG C.

Le 14 novembre, après plusieurs fausses alertes, nous faisons mouvement de nuit, en total “black-out” en direction de l'est car l'offensive vient de reprendre et il semble que Belfort soit notre prochain objectif. Comme le SG C est, pour l'instant, en réserve du CC4, par étapes successives, pendant deux jours nous nous contentons de suivre. Chaque soir, avec mes camions, je vais de char en char compléter les pleins puis, avec mes jerricans vides, je pars vers l'arrière, parfois à 30 kms, les échanger contre des pleins avant de reve­nir à l'escadron. Mes nuits, désormais, je vais les passer plus souvent sur les routes qu'à dormir, d'autant plus que, mes déplacements s'effectuant toujours en “black-out” je ne rentrerai souvent que peu de temp avant l'aube.

Le 16 novembre, le SG arrive à Geney où nous dépassons des batteries de 105 et 155 mm qui sont en train d'expédier leurs volées d'obus sur les positions alle­mandes à quelques kilomètres en avant. Nous n'avons pas encore été engagés mais cela ne saurait tarder car, continuant à progresser en direction du Nord-Est, arrivés à Arcey (10 kms ouest de Montbeliard.), non seulement les explosions d'obus ou de gre­nades, mais également les rafales d'armes automatiques sont très proches et les premiers cadavres allemands aperçus ça et là. Un peloton de chars reste à Arcey, un autre va à Echenans et le troisième à Reynans où quelques prisonniers allemands sont faits. Dans la nuit, alors que je ravitaille les chars, quelques obus allemands tombent dans les parages, sans bobos. Cela y est, nous sommes au contact, notre guerre vient de commencer.

Le 17 novembre nous continuons à avancer vers Laire et Héricourt en direction de Belfort. En rase campagne, pas de résistance vraiment organisée de la part des Allemands, seulement quelques éléments “retardateurs” que, avec les légionnaires, les chars ont tôt fait de mettre hors d'état de nuire. Alors que la nuit est tombée le 1er Peloton, commandé par le sous-lieutenant Favre d' Echallens, qui a succédé au lieutenant H.....lorsque ce dernier a été muté, est en tête de colonne et reçoit l'ordre de pénétrer dans Héricourt, grosse bourgade 12 kms au sud ouest de Belfort, qui, en principe, a été libérée en fin d'après-midi.

Alors qu'il a pénétré de quelques centaines de mètres dans la rue principale, le char Nemesis, celui du sous-lieutenant est détruit d'un coup de “panzerfaust” (arme anti-chars individuelle et portative, à charge creuse, utilisable à courte distance - 50 mètres maximum - et ne pouvant servir qu'une fois) actionné sans doute par un “panzergrenadiere” qui aura échappé au “nettoyage” de l'après-midi. Le char flambe, les cinq membres de l'équipage sont tous grièvement blessés; le tireur, Philippe, décédera dans la nuit et le chargeur, Desmases, quelques jours plus tard. Nos premiers “Mort pour la France” et nos premiers blessés.

Les l8 et 19 novembre le CC 4 essaie vainement de s'approcher de Belfort par le sud mais les positions dominantes des forts du Mont Vaudois et de Salbert, solidement tenues par les batteries allemandes d’une part, la nature marécageuse du terrain d'autre part, font que le Commandement décide d'investir Belfort en passant, avec le CC6 par le nord de la ville qui sera libérée le 20 novembre.

Ce même jour, au matin, nous sommes à Montbéliard, à l5 kms au sud de Belfort, et nous partons plein Est en direction de Delle et la frontière suisse mais la route est très embouteillée, la circulation ralentie à l'extrême et nous faisons étape, à la nuit, à Montbouton. Nous n'avons fait, dans la journée, qu'une dizaine de kilomètres.

Le 21 novembre, longeant au plus près la frontière suisse, par Saint Dizier, L’Evêque, Lebetain, Delle et Faverois, l'escadron pousse vers Courtelevant, situé bien à l'Est de Belfort, sur le seul itinéraire permettant le passage du ravitail­lement destiné à la 1ère Division Blindée qui, après nous avoir précédés à Montbéliard, à foncé vers le Rhin en direction de Mulhouse qu'elle a libérée et à atteint le Rhin à Chalampe.

Une contre-attaque allemande a réussi à couper momentanément cet axe de ra­vitaillement en s'emparant d'un important carrefour situé 2 kms à l'Est de Courtelevant. Il est impératif que ce carrefour soit repris et que le ravitaillement puisse passer. Toute heure qui passe est cruciale, aussi une opération éclair va être menée, de nuit, en dehors de toute logique d'emploi normal d'une unité de chars, par le 2ème Peloton de chars, commandé par 1'Adjudant-chef Harmand et où Lamotte, brigadier-chef, est tireur à bord du char Nantes, accompagné par la section du Lieutenant Hallo de la 7ème compagnie du RMLE.

Tous phares allumés, crachant de toutes leurs armes, les chars et les légion­naires foncent, en bataille de part et d'autre de la route, sur le carrefour, détruisant au passage un char Panther, culbutent les Allemands, sidérés. L’effet de surprise a été total, le carrefour est libéré et la noria des camions de ravitaillement peut reprendre. Cette opération, pour risquée qu'elle ait été, n'a pas coûté un seul homme à l'escadron, la Légion y perdra un half-track bazooké et 5 blessés. Comme à l'habitude, je vais ravitailler tout ce monde sur place car le carrefour continuera à être tenu toute la nuit. A maintes reprises, guidés par le bruit des jerricans vides que, malgré les précautions, on cogne de temps à autres, les déplacements de mes camions seront salués par des rafales de mitrailleuses et j'avoue que le claquement sec et rageur des balles qui passent tout près me font rentrer la tête dans les épaules. Ce qui me fait rager, c'est de penser que, avec mes camions, je serai toujours “la cible” sans avoir la pos­sibilité de riposter. A la suite de ce “fait d'armes” je ferai l'objet de ma première citation à l'ordre du Régiment.

Le 22 novembre le S/G C repart vers Lepuix-Delle, petite bourgade au nord de Courtelevant, puis vers Suarce (3 km encore plus au nord.) L'Alsace est toute proche et je pense aux Schoettel dont je n'ai plus eu de nouvelles depuis 1941. Que sont-ils devenus?



I

l fait un temps épouvantable, pluie et vent, lorsque le 3ème Peloton (Lieu­tenant Bruneau) est en vue du village; avec mes camions je suis la colonne à environ un kilomètre derrière. Des obus allemands explosent de ci, de là, et notre artillerie répond en bombardant les lisières du village. Dans une ferme isolée où avec mes équipages je me suis momentanément abrité, se trouvent quelques habitants du village qui ont fuit les combats et, parmi eux, le curé de Suarce qui se lamente en voyant un obus frapper le clocher de son église qui, manifestement, sert d'ob­servatoire à l'artillerie allemande... « Oh! mon Dieu, dit-il, un. si beau clocher que nous devons à l'ingénieur Kléber avant qu'il ne devienne, avec Napoléon Bonaparte le vainqueur de la bataille des Pyramides lors de l'expédition d'Egypte en 1798. »

L'entrée de Suarce est difficile d'accès car la route est encaissée; le char Nomade (celui du S/Lt Bruneau et que pilote mon ami, le Brigadier François Lasserre) pénètre le premier, suivi par le char Noailles, tous deux entourés et précédés de légionnaires combattant à pied. Ils n'ont pas vu un Jagdpanther en arrière du village, bien camouflé dans un bosquet en léger surplomb, qui les a dans la ligne de mire de son canon de 88mm anti-chars qui, malheureusement, est nettement supé­rieur au canon de 75mIn dont nos Sherman sont équipés.

C'est le drame ! Les coups du Jagdpanther font de suite “mouche”; le Nomade, le Noailles puis le Nemrod du 1er Peloton qui tente de déborder, percés par les obus, flambent comme des allumettes. Cinq tués, dont Lasserre. Pauvre François, mon ami, mon frère, compagnon depuis 3 ans de tous mes bons et mauvais moments! Mort au Champ d'Honneur et dont on ne retrouvera rien, brûlé dans son char, déchi­queté par l'explosion des obus qu'il contenait, tout comme son co-pilote Raphael premier “pied-noir” de l'escadron mort pour la France qu'il n'avait, auparavant, jamais vue. Les autres membres des trois équipages sont tous blessés plus ou moins grièvement. Un gros “coup dur” pour l'escadron.

Du 23 au 26, après un temps de réorganisation, l'escadron, réduit à 11 chars en état de combattre, pénètre en Alsace à Seppois puis, par Hirsingue et Altkirch, se rabat vers l'Ouest en direction de Ballersdorf. Je me souviens de ce que, dans ce dernier village, près d'une grange qui brûlait, il y avait un unteroffiziere (sous-officier) allemand tué par un obus tombé tout près de lui. Son casque d'acier était à quelques mètres mais il avait encore sur la tête la coiffe intérieure du casque, maintenue par la jugulaire bouclée sous son menton, lui donnant ainsi un air gro­tesque, frisant le ridicule. Des habitants du village venaient voir, s'assurant ainsi qu'il était bien mort et personne ne semblait le regretter, bien au contraire car, selon leurs dires, il leur avait fait beaucoup de mal. II avait fait partie de la Kommandantur locale, arrêtant les jeunes pour les faire incorporer dans la Wehrmacht et faisant déporter, voire même fusiller, ceux qui avaient résisté ou tenté de déserter. Non, personne ne semblait désireux de se charger de sa mise en terre. Pendant cette journée, dans un beau ciel redevenu bleu mais très froid, j'admirais, avec une certaine jubilation, les longues traînées de condensation des flottes de bombardiers anglais ou US passant, haut dans le ciel, en direction de l'Est.

Le 27 novembre nous quittons Ballersdorf, toujours vers l'Ouest, en direction de Dannemarie (Dammerkirch disent encore les pancartes routières allemandes) grosse bourgade alsacienne, important point de passage pour les troupes allemandes qui se replient de la région de Belfort et du sud des Vosges. A ce que l'on sait, la bour­gade serait assez fortement tenue, aussi une intervention de l'aviation a t'elle été demandée avant que les chars attaquent. Vers le milieu de la matinée, le “bombing” aérien demandé n'ayant toujours pas eu lieu, l'ordre d'attaquer quand même parvient au sous-groupement dont l'escadron est réduit à 7 chars, le 2ème Peloton (Harmand) ayant été détaché un peu plus au Nord, en direction de Gommersdorf.

Un char obusier M6, de la 7ème Cie du RMLE allant se mettre en batterie est atteint d'un coup de 88mm anti-char dès qu'il a été en vue des lisières de Dannemarie et flambe immédiatement. Le 1er Peloton (Lieutenant de Grasset qui a succédé au S/Lt d'Echallens) prend la tête et le char Ney, qui se trouve encore à environ 1 km de Dannemarie, est atteint d'un obus de 88mm et flambe à son tour. Sur les 5 membres de l'équipage, 4 sont tués et le 5ème très grièvement blessé. La progression con­tinue quand même, aussi vite que possible, en zigzagant et tirant, d'autant plus que, jusqu'aux lisières du village c'est un “vrai billard”. Le Panther qui vient de tirer, astucieusement camouflé sur la place centrale de Dannemarie, tout contre une fontaine genre Wallace, bat en retraite. Les coups de 75mm de nos chars l'atteignent bien mais son épais blindage, parfaitement profilé, fait que nos obus ne pénè­trent pas et ricochent. Le 3ème Peloton (MdL Chef Boucaud, qui a succédé au S/Lt Bruneau), réduit à un char, le Noroit, a réussi à s'emparer du pont sur le canal du Rhône au Rhin, l'empêchant ainsi de sauter, mais à perdu le Normandie et le Noyon sur les bords du canal. Ces deux chars sont en flammes, atteints par les obus de deux Panthers qui ont pu, eux aussi, se replier. Là encore, deux des nôtres tués et quatre blessés. Ainsi se termine une autre dure journée pour l'escadron qui dix jours après son “baptême du feu”, se trouve réduit à moins de 10 chars.

Du 28 novembre au 2 décembre, ce qui reste de l'escadron se rapproche de Mulhouse, va stationner le 1er décembre à Spechbach le Haut où, à ce que l'on dit, il doit se reformer et, en principe, rester au repos durant quelques jours. J'envisage déjà, grâce à mes fonctions, la possibilité de me rendre à Mulhouse pour retrouver la trace de mes amis Schoettel Hélas! il est bien vrai qu'à la guerre, encore moins qu'ailleurs, on ne sait jamais de quoi demain sera fait et, le 2 décembre au soir, nous sommes mis en alerte. En fait de repos, le lendemain nous repartons plein Ouest, direction Belfort.

Le 4 décembre, de Belfort, direction Nord, nous contournons les Vosges par l'Ouest et, par Luxeuil, Plombieres, Remiremont, arrivons à Bruyeres (10 km est d'Epinal) en pleine nuit. En deux jours nous venons de faire plus de 150 kms aussi, avec ses dernières pertes plus quelques chars en panne, l'escadron se trouve t'il réduit à 5 chars, soit un peloton.

Le 5 décembre se passe à “retaper” le matériel, à récupérer les chars tombés en panne et un renfort en personnel nous parvient. Le 6, départ de Bruyères pour Sainte Marie aux Mines, par Saint Die. Encore une étape de 60 kms qui nous ramène en Alsace, en plein coeur des Vosges, à une trentaine de kilomètres à vol d'oiseau au Nord-Ouest de Colmar.

Le 7, trois nouveaux chars (les premiers que nous recevons): Nemesis II, Nomade II et Noailles II, nous sont affectés et l'escadron, par une toute petite route de montagne, part vers le sud, vers Aubure à 10 kms de Sainte Marie aux Mines.

Le 8, encore un petit “saut de puce” de 6 kms jusqu’à Freland, village situé dans une vallée très encaissée. Le front est tout près, le long de la vallée de la Weiss, rivière orientée ouest-est. L'escadron est à nouveau à 10 chars; le froid se fait à présent bien sentir mais il n'y a pas encore de neige.

Le 9 décembre, à la queue leu leu (aucun débordement n'est possible au milieu de toutes ces montagnes. Il y a la route, seulement la route,) les chars quittent Freland, abordent Hachimette mais ne peuvent continuer vers Orbey (8 kms plus au sud) en raison de la difficulté qu'éprouve le Génie à rétablir le passage sur la Weiss dont le pont à sauté. En effet, les Allemands occupent toutes les crêtes dominant l'unique point de passage et soumettent à des tirs violents tous les véhicules qui tentent de s'en approcher. Le char Namur est atteint par un obus, sans dommage heureusement pour le personnel. Une vigoureuse action, menée par les goumiers du 2ème groupement de Tabors permettra le dégagement des crêtes les plus rapprochées et le Génie pourra, enfin, mettre en place un pont provisoire.

Je viens de parler de Goumiers; ce sont des Marocains de l'Atlas, rudes combattants d'origine Chleuh, aussi habitués à la montagne que les mouflons ou bouquetins, se déplaçant sans bruit, experts à l'arme blanche et d'une frugalité remarquable. Toujours vêtus de leur épaisse djellaba de laine couleur de roche, coiffés du gros chèche de même couleur, chaussés, été comme hiver, de “naïls” (sandales à lanières de cuir avec semelles de caoutchouc) qu'ils portent sur de grosses chaussettes de laine. Ils sont résolument rebelles au port des “brodequins et j’avoue que, lorsque plus tard, je les verrai patauger dans la neige avec leurs “naïls” cela me donnera le frisson. Mais cela ne semblera pas beaucoup les affecter. Il paraît qu'ils en ont l'habitude, là-bas, dans leurs djebels.

Du 10 au 30 décembre l'escadron va vainement tenter, avec sa compagnie de légion­naires et l'appui épisodique de tirailleurs et de goumiers, de s'approcher du dernier obstacle qui le sépare encore de Colmar : la crête des Trois épis. Les vallées très encaissées dans lesquelles il va avoir à s'avancer sont peu propices à la manœuvre des chars, les routes étant partout surplombées par des crêtes tenues par l'ennemi.

C’est ainsi que, le 11 décembre, alors que quelques chars ont réussi à aborder les premières maisons d'Orbey, le char Narvick, après avoir réussi à détruire un Jagdpanther, presque à bout portant, avec un obus incendiaire au phosphore, est à son tour détruit, ainsi que le char Noroit (3 tués et 6 blessés).

Plus tard dans le temps, quelques chars arriveront à grimper jusqu'au hameau de La Chapelle puis certains pousseront, avec bien des difficultés car la défense allemande est toujours aussi opiniâtre, jusqu’à Labaroche, mais les intenses bombardements, la neige et le froid ( le thermomètre descend souvent jusqu'à -20° ) les empêcheront d'aller plus loin. Pour ce qui me concerne, le jour je suis à Hachimette qui, dominé au sud et à l'est par les Troisépis et le Sommerberg est toujours soumis à des bombardements d'ar­tillerie et de “minenwerfers” (mortiers.) La nuit, toujours sans lumières, avec mon camarade Michel Serves, mes fidèles conducteurs Tognet et Navarro ( tous “pieds-noirs” ) et six Marocains très courageux ( mes manutentionnaires ) je pars pour Orbey puis La Chapelle et Labaroche, à la grâce de Dieu car la route n'est jamais très sûre, ravitailler en essence, mais surtout en munitions, “mes” chars, qu'il ne m'est pas toujours facile de trouver car, eux aussi, savent utiliser l'art du camouflage. Ce n'est pas le moment d'avoir oublié le “mot de passe” où de se tromper d'itiné­raire. Les mortiers allemands nous suivent à la trace, au bruit plutôt et rares sont les nuits où nous ne rentrons pas avec quelques pneus crevés aux jumelages de nos GMC ou des jerricans percés par des éclats. Mais Dieu est avec nous et, avec mes équipages, nous passerons toujours “entre les gouttes”. Les nuits de pleine lune, pour revenir, nous roulons presque aussi vite qu'en plein jour car mes conduc­teurs, habitués qu'ils sont à présent à rouler en black-out, sont d'une adresse remarquable. Ainsi passent les nuits, qui sont toujours très courtes.

A la mi-décembre nous apprenons que les Allemands ont lancé une vigoureuse contre offensive à travers le massif des Ardennes mais, après quelques jours critiques qui avaient amené le Haut Commandement allié à envisager une retraite partielle qui aurait permis aux Allemands de réoccuper Strasbourg (ce qui, heureu­sement, n'a pas été le cas), les choses sont rapidement rentrées dans l'ordre avec une résistance héroïque des troupes américaines encerclées à Bastogne en Belgique.

Noël passe comme un jour ordinaire avec son lot d'obus de mortier et d'artil­lerie. Il fait très froid, le sol est gelé, les chars n'ont pratiquement pas bougé depuis quelques jours déjà mais, comme il leur faut tout de même faire tourner leurs moteurs afin d'éviter que ces derniers gèlent, je dois quand même leur ap­porter carburant et munitions.

Qu'elle est sinistre cette nuit de Noël où, en guise de sapins illuminés il n'y a que la “guirlande” des maisons bombardées qui, de ci de là, sont en train de brûler et où je trouve, sur chaque char que j'aborde, les membres de l'équipage qui ne sont pas de veille qui tentent de se reposer et d'emmagasiner un peu de chaleur, enroulés dans une couverture, allongés sur les plaques moteurs encore tièdes du char qui vient de tourner. Maigre confort!

La résistance des Allemands se raidit de plus en plus; ils se cramponnent à ce lambeau d'Alsace qu'ils s’acharnent à vouloir conserver au “Gross Reich” et d'ailleurs Hitler vient de confier le commandement des troupes de cette “poche de Colmar” à Himmler, son âme damnée, qui dispose encore de quelques troupes d'élite très fanatisées comme ce qui reste de la Panzerdivizion Hitlerjugend, déjà sévère­ment étrillée en Normandie, mais qui “en veulent” encore.Le 30 décembre, une unité américaine vient nous relever et, le 31 décembre l'escadron, avec tout le régiment, part au repos, au nord-ouest des Vosges, par Lapoutroie, le col du Bonhomme, Fraize et Provenchères sur Fave (11 kms au nord-ouest de Sainte Marie aux Mines). Le trajet est rendu très pénible à cause de la neige, notamment dans 1'ascension puis la descente du col du Bonhomme où les chars patinent et glissent et c'est miracle qu'aucun d'eux ne se soit retrouvé au fond d'un ravin! Got mit uns auraient dit les Allemands.

L'escadron est en cantonnement à La Pariée, petit hameau à 3 kms de Provenchères. Nous sommes déjà en 1945 quand, après avoir complété les pleins, je puis, enfin, aller me coucher sans penser un instant à fêter l'an nouveau.

De quoi sera faite l'année 1945 ? Je ne me pose même pas la question; je suis fatigué et, comme tous mes camarades, après ce que nous avons vécu, nous sommes “vaccinés”, non contre la peur mais contre le danger. Nous savons que ce sera, jusqu'à la fin de cette guerre, notre lot, et nous faisons notre le Mektoub de nos camarades marocains : Quoi que tu fasses, ce qui doit arriver arrivera. C’est déjà écrit..

SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS 28_sep10

28 Septembre 44

.Avec mes camarades sous officiers et les officiers de l’Escadron. De gauche à droite et de bas en hauts :Mdl chef Citerne (Tué à Horb le 19-4-45), moi, Adjudant Chamousset (Tué á Horb le 19-4-45), MdL Duhamel (mon ami Paulo), MdL Rigaud,Mdl Murgues, MdL chef Henry, MdL Weier
2ème rang : MdL Tremblay, MdL Benazra, MdL Chef Boucaud (tué à Hachimette le 10-12-44), l’Adjudant Pecoud (avec les lunettes), le Capitaine Guibert (Petit Louis, avec la pipe), le sous Lieutenant Bruneau, le Lieutenant Favre d’Echallens, le Lieutenant de Grasset (le plus grand, en arrière), le Lieutenant d’Anglejean, le MdL chef Castaing, le MdL chef Zimmerman, le Mdl Larmagnac, le MdL Jegaden, le Mdl Chef d’Harembure, le MdL Serret.

SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS 28_sep11

28 Septembre 44. De gauche à droite Sous Lieuteneant Bruneau, Brigadier Lasserre (mort au champ d’honneur à Suarce, le 22 Novembre 1944, Brigadier Flattot, Cuirassier Raphael (mort le même jour) , Cuirassier Limoges.
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MessageSujet: Re: SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS   SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Icon_minitimeDim 7 Nov 2010 - 8:38



A Berkane, ferme Taylor. Mon Escadron de Chars Sherman


SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Berkan10
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MessageSujet: Re: SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS   SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Icon_minitimeDim 7 Nov 2010 - 8:42


suite de l'histoire:
Année 1945.

Du 2 au 21 janvier l'escadron va se reformer à La Parièe, tout d'abord en recevant un renfort en personnel pour combler les pertes consécutives aux derniers combats de décembre, puis en renouvelant de fond en comble son matériel chars. En effet, nous transférons aux autres escadrons du régiment les quelques Sherman M4A4 qui nous restent et percevons à la place 7 M4A4 neufs ainsi que 4 M4A2, neufs éga­lement mais qui, eux, fonctionnent au gasoil ( ce qui va me poser quelques problèmes quant à leur ravitaillement car il ne s'agira pas de mélanger jerricans d'essence et de gasoil.)

Les personnels qui nous sont affectés viennent, pour la plupart, des dépots d'Afrique du Nord, quelques autres viennent des FFI (Forces Françaises de l'Inté­rieur, anciens “maquis”) Chacun y mettant beaucoup de bonne volonté, l'amalgame se fait très vite. Le Lieutenant Bruneau, à peu près remis des blessures reçues à Orbey après celles subies à Suarce un mois plus tôt, rejoint l'escadron, ayant refusé de partir en convalescence. Par ailleurs des spécialistes américains viennent nous initier à l'utilisation et l'entretien des Sherman M4A2.

Le 9 janvier l'escadron est alerté et doit se tenir prêt à partir le lendemain matin. Le contre-ordre arrive dans la nuit. Fausse alerte donc mais nous sentons bien que la période dite “de repos” va bientôt prendre fin car, dès le 16 janvier, les capitaines du Sous-Groupement C sont envoyés en reconnaissance aux confins de la plaine d'Alsace, au nord-ouest de Colmar.

Le 21 janvier, adieu La Parièe. L'escadron, qui compte 11 chars, refait en sens inverse ( et dans les mêmes conditions climatiques détestables, neige épaisse et fort brouillard givrant) le chemin qu'il a parcouru le 31 décembre et, par Saint-Die, le col du Bonhomme et Lapoutroie, arrive à Hachimette où se trouvent toujours les Américains qui nous ont relevés en décembre.

Le 24 janvier, par Kaysersberg ( la patrie du docteur Schweitzer ), Riquewihr et Hunawihr, nous bordons la plaine d'Alsace, face à Ostheim (l2 kms au nord de Colmar ) Nous sommes en plein vignoble alsacien mais il nous faudra attendre des jours meilleurs pour déguster son vin car les caves ont été soit détruites, soit pillées par les Allemands.

Aux lisières sud de Hunawihr une batterie de canons de 155 mm tire sans dis­continuer en direction du Rhin. Nous sommes sous la neige dont la couche atteint 50 cm et c'est pitié de voir les vestiges de ces villages alsaciens, écrasés par les obus, réduits à des monceaux de ruines recouverts de neige comme d'un linceul et sur lesquels les rares habitants restés dans les caves ont à cœur de faire flotter les couleurs de la France. Pauvres petits “drapeaux” faits de bouts de tissus bleus, blancs et rouges assemblés à la hâte ou pieusement conservés dans un endroit secret au nez et à la barbe de l'allemand. Oui, vraiment, ces gens là sont restés Français de toutes leurs fibres, envers et contre tout et quoi qu'il leur en ait coûté.

Nous restons là trois jours et, afin qu'ils se fondent mieux dans le paysage, nous peignons tous les véhicules en blanc car la neige, qui continue à tomber, n' est pas à la veille de fondre. Le 28 janvier, en début d'après-midi, l'escadron part vers le sud-est en direction du pont sur l’Ill (Pont de Maison Rouge ) par Zellenberg et Ostheim (grosse bourgade totalement anéantie par les bombardements). Chemin faisant nous dépassons des fantassins américains qui, jusqu'à ce jour, constituaient les “avant-postes” où ils ont passé quelques jours et autant de nuits dans leurs trous recou­verts d'une toile de tente. A moitié ensevelis dans la neige! Ils ne sont pas peu heureux de nous voir arriver.

Le 29 janvier les choses sérieuses recommencent pour nous et l'escadron, en étroite liaison avec l'infanterie américaine, part en direction du sud, vers Colmar, alors que le jour n'est pas encore levé. Premier objectif, Holtzwihr à 4 km au sud, ainsi que le pont sur le canal de Colmar à 1500 mètres au sud de Holtzwihr.

Après bien des difficultés, dues essentiellement à la nature du terrain où nos chars s'embourbent parfois, les lisières d’Holtzwihr sont atteintes au lever du jour et, vers 10 heures, le village est entre nos mains où une cinquantaine de pri­sonniers sont faits. Tout le reste de la journée et la nuit suivante l'escadron subit de violents tirs d'artillerie. Je me souviens avoir vu, cet après-midi là, un GMC de l'armée US roulant dans la rue et qui me précédait d'une centaine de mètres, recevoir un obus de plein fouet dans la cabine, continuer sa course et venir percuter un de nos chars. Ses occupants étaient morts, bien sûr; comme il ne transportait ni essence ni munitions, le char n'en a pas souffert.

Le 30 janvier, l'escadron, toujours avec la Légion et l'Infanterie US, part vers Wihr en Plaine (3 km est de Colmar) où il est accueilli par un violent tir d'artillerie. Une contre-attaque allemande venant de l'Est tente de couper l'escadron de ses arrières. Le 1er peloton (Lt Berthelot) est envoyé pour s'y opposer et le char Nemrod reçoit alors un coup de 88mm en pleine tourelle (1 tué, 3 blessés). Bien que blessé, le pilote, cuirassier Beauchet, tente de ramener son char qui n'a pas pris feu mais, touché une nouvelle fois, il doit l'évacuer. Un autre char, en panne de terrain, touché à son tour, doit être évacué. Finalement, la contre-attaque allemande échoue et Wihr en Plaine est occupé en partie.

Le 31 janvier, après les pertes de la veille et quelques chars toujours immobilisés suite à des pannes de terrain, l'escadron se trouve momentanément réduit à 5 chars. Son objectif est aujourd'hui Horbourg (faubourg de Colmar, séparé de la ville par L’Ill, à l'est de cette dernière). Toujours accompagnés des légionnaires et de l'infanterie américaine, le débouché se fait rapidement mais, dès leur arrivée aux lisières d'Horbourg, les chars se heurtent à une résistance acharnée des Allemands retranchés dans les caves au milieu des civils et qui tirent par les soupiraux, rendant la riposte particulièrement difficile. Malgré un violent tir d'arrêt allemand, Horbourg reste, en partie, entre nos mains et 80 prisonniers sont faits. Malheureusement cette action n'empêchera pas les Allemands de faire sauter le pont sur l'ill. Quelques blessés chez nous mais surtout parmi les légionnaires.

La nuit du 31 janvier au 1er février se passe sous les tirs de l'artillerie et des mortiers ennemis. Pour ravitailler en carburant et munitions les chars et les half-tracks de la Légion, il me faudra, avec mes équipages, “slalomer” entre les obus et, au matin, je ne compterai pas les impacts d'éclats de toutes sortes qui truffent mes GMC et la plupart de mes jerrycans. Une chance inouïe qu'aucun obus ne soit jamais tombé sur les caisses d'obus que je transportais. Quel feu d'artifice cela aurait fait ! Sur le coup, heureusement, je n'y ai jamais pensé. Pas de citation cette fois-ci. Seulement une “inscription” au Journal De Marche. La citation à l'ordre de la Division c'est le Sous-lieutenant Ducanchez qui l'a eue.

Que l'on me permette, à ce point de mon récit, une petite disgression. Je viens de mentionner que, entre le 28 et le 31 janvier nous avons combattu avec l'infanterie américaine. A mon avis, le Journal De Marche de mon escadron (son rédacteur tout au moins) se montre très sévère avec cette unité. Certes, les GI's ne sont pas des Légionnaires (ces derniers, et c'est tout à leur honneur, ne sont pas habitués à “économiser” leur sang) mais je veux préciser que la Division à laquelle appartenait cette unité (la 3ème DIUS je crois et dont l'insigne est un carré strié en biais de bandes blanches et bleues - j'en ai un exemplaire qui m'a été donné en souvenir à Wihr en Plaine par un GI), après avoir débarqué en Afrique en 1942, puis à Salerne en Italie en 1943, combattu en Belgique puis avec nous en Alsace, a tout de même compté dans ses rangs le soldat le plus décoré de l'US Army : Audie Murphy qui, engagé comme simple soldat en 1941 a terminé la guerre comme Capitaine, a reçu, des mains du Président Truman la plus haute distinction des Etats Unis, La Médaille d'Honneur Du Congrès puis après un court passage par Hollywood où il a été la vedette de quelques films, a trouvé la mort en 1971 dans un accident d'avion. Oui, ces GIs nous ont tout de même bougrement aidés à vaincre!

Le pont sur L’Ill entre Horbourg et Colmar ayant donc sauté, il faut trouver une autre solution pour prendre Colmar aussi, le 1er février, nous quittons Horbourg pour revenir sur nos pas : Wirh en Plaine, Holtzwirr, Pont de Maison Rouge et cap au sud sur Houssen (4 km au nord de Colmar). Le 2 février vers 8 heures, après avoir récupéré quelques chars qui ont été réparés, l'escadron se dirige vers l'entrée Nord de Colmar qu'il commence à “nettoyer” sans trop de pertes pour nous. Il n'en va pas de même pour les Légionnaires victimes de tirs des snipers. Enfin nous sommes à Colmar. Cela n'aura pas été sans mal mais le jour tant attendu est enfin arrivé.

Le 3 février, avec le Bataillon de Choc, nous participons au “nettoyage” de la ville où de nombreux prisonniers sont faits, et, le 4 février, la ville étant totalement libérée, nous nous installons en cantonnement confortable chez l'habitant, au voisinage de la gare. Pour ma part, je partage une vaste chambre avec mon camarade, le Maréchal des Logis Benazra chez un avocat de la ville actuellement absent.

Le 5 février, hormis les prisonniers, il n'y a plus un seul soldat allemand sur la terre de France. Enfin, presque car à Lorient, La Rochelle et Royan quelques “poches” résiduelles subsisteront jusqu'en avril.

Le 8 février une prise d'armes est organisée sur la place Rapp (du nom d'un Général de Napoléon originaire de Colmar) en l'honneur du Général de Lattre de Tassigny et une autre le 10 en l'honneur du Général de Gaulle. L'escadron va couler quelques jours heureux et prendre un repos bien mérité. On parle même de permissions. Les premières pour la plupart d'entre nous. En attendant, les 7 chars qui nous restent sont parqués au quartier RAPP et on remet le matériel en état. Etant, d'une part, un de ceux qui avaient quitté la France depuis le plus longtemps ( près de 3 ans et demi ), et d'autre parte un de ceux qui habitent le plus loin, je suis un des premiers à partir pour une permission de 10 jours plus 4 jours de délais de route car il faut compter avec les difficultés de transport, les voies ferrées n'étant pas partout totalement remises en état.

Le 13 février donc, en camion, nous sommes quelques-uns un à aller prendre le train à Belfort puis, en train spécial de permissionnaires, direction Paris. De là, par la gare d'Austerlitz, direction Bordeaux puis Ychoux et Parentis en Born toujours par le train Car, à l'époque, la voie ferrée des Landes avec son train antédiluvien de la ligne Ychoux - Biscarosse Plage ( le “mâche-cul” comme nous l'appelions alors à cause de ses banquettes en bois bien dur) fonctionnait encore.

J'arrive à destination le 15 en fin d'après-midi. Cela me fait tout drôle de retrouver mes parents réunis. Lorsque ma mère est partie avec moi à Mont de Marsan en février 1931, j'avais un peu plus de 7 ans puis, le divorce prononcé en 1932, j'ai été confié à mon père avec lequel je suis resté jusqu'à l'âge de 14 ans, élevé par ma grand-mère paternelle qui, sans être vraiment méchante à mon égard, ne me portait pas spécialement dans son cœur. Comme je réussissais tout de même bien dans mes études, après avoir passé avec succès les épreuves du concours des bourses 3ème série ( examen d'un niveau intermédiaire entre le Brevet Elémentaire et le Baccalauréat), le directeur de l'école de Parentis avait conseillé à mon père de me laisser repartir à Mont de Marsan pour y poursuivre mes études, ce à quoi il avait consenti.

En 1937 donc j'étais retourné auprès de ma mère et étais entré à l'Ecole Pigier pour y apprendre la sténographie, la dactylographie et la teneur de livre, (autrement dit : la comptabilité). Un an après j'obtenais un certificat dans chacune de ces 3 matières et l'année d'après, toujours dans ces mêmes matières j'obtenais mes diplômes; j'étais donc prêt à entrer dans la vie professionnelle à partir de la fin juin 1939.

Après cette digression, j'en reviens au fait que, bien que sachant que ma mère était depuis 1942, retournée, après le décès de ma grand-mère paternelle vivre à Parentis avec mon père, je ne me suis pas senti très à l'aise quand je les ai revus ensemble. J'ai très vite compris que, entre eux ce n'était qu'un simple “rafistolage”. Une simple “communauté d'intérêts” en somme dont je me sentais totalement exclu. Certes, cela m'a fait plaisir de les revoir, de constater qu'ils n'avaient pas trop souffert de la guerre. Mais j'ai aussi senti que, si je voulais avoir une famille, une vraie famille, il faudrait que je la fonde moi-même.

Les quelques jours que j'ai passés à Parentis, je les ai surtout employés à aller voir mes autres parents comme la cousine Simone, a qui, en 1941 nous avions fait, ma mère et moi passer la ligne de démarcation pour qu'elle puisse aller revoir, en Zone Libre, son mari Pierre Manciet. J'ai aussi vu pas mal de ces gens qui, bien que ne me connaissant pas, savaient en 1941, m'écrire pour me demander de faire passer des lettres en Zone Libre. Peu s'en souvenaient encore et encore plus rares ceux qui m'en ont remercié. Il est vrai que, les mauvais souvenirs de l'occupation, il fallait les oublier au plus vite.

Par contre, mes “camarades” restés tranquillement chez eux pendant l'occupation et qui, par “chance” ou par relations avaient échappé au STO (Service Obligatoire du Travail), ne manquent pas de me narrer leurs exploits de FFI . Oh! Ils en ont fait des choses ! A tel point que, à côté de tout ce qu'ils me disent avoir “enduré”, j'en arriverais presque à me dire que, malgré ma Croix de Guerre 39-45 toute neuve, je ne serais qu'un petit garçon. Ils me montrent des photos où, brassard FFI gros comme une affiche autour du bras, une antique “pétoire” à la main on les voit à quatre ou cinq tenir par le collet un minable “soldat” allemand qui pourrait être leur père et qu'ils ont “cueilli”, je ne l'ai vu que bien plus tard, sur le bord de la route, alors que, exténué, il n'avait pu suivre ses camarades en retraite. Oh Le glorieux fait d'armes que voilà!

J'ai encore appris, plus tard, que la plupart (dans la région tout au moins) ne sont devenus FFI que lorsque les derniers soldats allemands ont eu quitté la région et que les “actes de guerre” de ces “résistants” de la dernière heure, les plus virulents, ont essentiellement consisté à s'ériger en justiciers, faisant la chasse aux rares femmes qu'ils soupçonnaient, parfois à tort d'ailleurs, d'avoir eu des “bontés” pour l'occupant et s'acharnaient ensuite à les avilir en les dénudant, leur peignant des croix gammées sur la poitrine, leur rasant la tête. Il se dit même que certains se sont ainsi vengés d'avoir vu leurs “avances” repoussées. Tout cela pour en arriver à voir, quelques années plus tard, l'un de ces vaillants lieutenant épouser une de celles à qui il avait rasé la tête en 1944. Je me suis beaucoup éloigné de mon sujet mais il fallait que cela soit dit. A l'époque pas besoin d'être promu. On se décernait soi-même le grade désiré. Ainsi a t’on vu des lieutenants-colonels à 7 galons : 2 pour lieutenant et 5 pour colonel. Authentique !

Il me reste encore 4 jours de permission à passer. Sans regrets je quitte Parentis et pars à Bordeaux où habite une tante qui a beaucoup compté dans ma vie. Tante Jeanne a épousé un frère de ma mère, tonton Louis, qui est aussi mon parrain; comme ils ne pouvaient pas avoir d'enfants, tante Jeanne s'est, dès mon plus jeune âge, beaucoup intéressée à moi et je me souviens que, à Morcenx où elle habitait alors, je me plaisais beaucoup quand elle m'y amenait pour quelques jours. Malheureusement, en 1931 parrain Louis décédait et je perdais de vue tante Jeanne pendant quelques années.

En 1935, à l'occasion d'un mariage je l'ai revue de façon très fugitive; elle s'était remariée entre temps et habitait désormais Bordeaux mais, dans mon coeur elle était restée tante Jeanne. Pendant la guerre comme mes parents, habitant à la campagne, avaient quelques facilités de ravitaillement, ils ont pu en faire profiter un peu la tante Jeanne ce qui fait que les relations avec elle et son nouveau mari n'ont jamais été interrompues.

Me voici donc à Bordeaux où je passe mes derniers jours de permission. C'est là que je vais faire la connaissance d'une nièce de tante Jeanne, fille d'une de ses sœurs, Louise et qui, à l'époque, est âgée de 16 ans 1/2. Je me souviens vaguement en avoir entendu parler. Nous avons d'ailleurs un parrain commun, tonton Louis, et dans notre tout jeune âge, alors que notre parrain était encore de ce monde nous nous serions à ce que nous dit la tante, déjà rencontrés. J'ai vaguement souvenance en effet, de son nom de famille que, à l'époque, je pense être Marchandeau, alors qu'en fait c'est Marchadier, Andrée, mais que tout le monde appelle Dédée . Elle est encore une gamine sautillante, enjouée et, déjà, bien jolie. Dans un peu plus de quatre ans elle deviendra ma femme. Mais nous n'en sommes pas encore là.

Ces 4 jours à Bordeaux passent très vite; je visite la ville que je ne connaissais absolument pas auparavant et le jour arrive où je dois retourner dans mon régiment. A la gare de l'Est, à Paris, au Centre d'Accueil des Permissionnaires, j'apprends que mon régiment a quitté Colmar pour la banlieue ouest de Strasbourg, à Eckbolsheim où je le rejoins le 27 février.

Le 28 février, pas le temps de souffler, les choses sérieuses recommencent pour moi. Tout d'abord comme je m'occupe toujours de la comptabilité du matériel, je dois préparer le reversement à d'autres escadrons des chars M4A4 et M4A2 qui nous restent car nous allons percevoir à la place 17 chars Sherman M4AI dotés d'un moteur d'avion (9 cylindres en étoile) fonctionnant toujours à l’essence et dont deux exemplaires (seulement) sont dotés d'un canon de 76mm long, muni d'un frein de bouche. Enfin un véritable canon antichar. Mais hélas, il n'y en a que deux!

Le Capitaine Guibert (Petit Louis) nous a quittés, muté comme instructeur à Saumur. Le Lieutenant de Grasset prend le commandement de l'escadron. Le mois de mars se passe à remettre sur pied un escadron à nouveau apte à reprendre le combat. Mais cette fois ce sera en Allemagne, de l'autre coté du Rhin, que nous allons le mener.

Le 27 mars, alertés dans la matinée, nous partons vers le Nord est par Haguenau allons cantonner à Oberseebach, toujours en Alsace, à moins de 10km de la frontière allemande où nous allons rester quelques jours en attendant que des moyens soient réunis pour que nos chars puissent franchir le Rhin dont les Allemands tiennent toujours la rive droite, mais plus pour bien longtemps.

Du 1er avril au 23 avril 1945

A

partir de maintenant, mon récit va s'inspirer largement du “carnet de route” que j'ai tenu à partir du 1er avril et jusqu'à la fin de la guerre (petit carnet jaune où, au crayon, chaque soir, je rapportais les itinéraires suivis, mes faits et gestes, mes états d’âme.) J'y ajouterai quelques commentaires qui, sur le champ ne me sont pas venus, ainsi que quelques oublis sur des évènements dont je n'ai eu connaissance qu'après coup.

Le 1er avril, en milieu d'après-midi, par Wissembourg nous pénétrons en Allemagne et traversons la ligne Siegfried (prise depuis quelques jours déjà par les Américains) à 16 heures 30 et arrivons à Oberlustadt à la nuit. Nous sommes à une trentaine de kms de Wissembourg, donc bien à l'intérieur de l'Allemagne. Aux fenêtres de toutes les maisons flottent des bouts de tissus blancs en signe de reddition, qui contrastent singulièrement avec ces affiches placardées à profusion et qui affirment de façon péremptoire : Wir kapitulieiren nie. (Nous ne capitulerons jamais!).

Personne dehors, les habitants restent calfeutrés. Le village n'a, apparemment pas souffert. Les Allemands chez qui, avec mes équipages, je dois loger semblent terrifiés, surtout en voyant les Marocains car, nous disent-ils après que nous les ayons rassurés, la propagande nazi leur a affirmé que les noirs allaient les violer et les tuer. Nous ne verrons que des vieillards et des enfants, les jeunes hommes, et même les moins jeunes, sont à la guerre, les femmes claquemurées au fin fond des caves.

Le 2 avril nous restons à Oberlustadt en attendant de pouvoir passer le Rhin. Le 3 avril, les chars de l'escadron franchissent le Rhin à Germersheim ( 15 kms à l'Est de Landau), sur des bacs réalisés par le Génie. Avec les véhicules à roues et les half-tracks de la Légion, je franchis le Rhin sur un pont de bateaux à Speyer (Spire), 10 kms au nord de l'endroit où les chars l'ont franchi. Le soir, tout l'escadron est rassemblé et passe la nuit à Uttenheim (15 kms au nord de Karlsruhe) je vais, à la nuit, me ravitailler en essence au bord du Rhin en face de Germersheim. Nous ne sommes pas encore engagés, mais cela ne saurait tarder.

Le 4, nous partons à l'aube vers Karlsruhe et prenons contact avec l'ennemi à 10 kms au Nord de la ville. Quelques escarmouches et l'Allemand décroche. Il ne défendra pas la ville qui sera prise dans l'après-midi vers 15 heures. Les chars sont parqués sur la Adolf Hitler Platz et inspectés par le Général de Lattre de Tassigny arrivé à l'improviste. Nous passons la nuit à Karlsruhe.

Le 5 nous quittons Karlsruhe et partons en direction du sud-est, vers Pforzheim, avec le village de Wössingen comme premier objectif. Vers midi, le contact est pris. L'escadron est très étalé sur le terrain, chaque peloton de chars, toujours accompagné d'une section de la Légion, se voyant attribuer un objectif différent. En début de soirée, le char Nantes est détruit par un coup d'anti-chars mais, par chance, personne n'est blessé. A son actif, l'escadron compte une centaine de prisonniers et la capture de trois canons anti-chars. Notre axe d'attaque se situe désormais plein sud, le nettoyage de la Schwarzwald (Foret Noire) étant confié à notre ouest, à une autre Division française.

Le 6 et le 7 nous nous approchons de Pforzheim, petite ville qui semble avoir beaucoup souffert des bombardements aériens à en juger par la vue que nous en avons depuis les hauteurs nord qui la dominent. Il est vrai qu'elle abritait une importante industrie d'instruments de très haute précision.

Le 8, alors que les chars étalés sur le terrain s'approchent de la ville, la colonne des véhicules qui suivent à environ 2 kms derrière et dans laquelle je me trouve avec mes deux camions et le half-track du groupe de dépannage, est sérieusement prise à partie par l'artillerie allemande. Chaque équipage cherche, comme il le peut, à se mettre à l'abri avec son véhicule et à utiliser au mieux les fossés bordant la route! . Autour de moi il y a cinq blessés parmi l'équipage du half-track et mon camion, criblé d'éclats, est inutilisable. Personne, parmi mes équipages, n'a été touché. La “baraka” continue à être avec nous. Ayant reçu l'ordre de rester sur place en attendant que l'on vienne me récupérer nous entrons dans une ferme toute proche, absolument intacte et assez opulente, où nous trouvons deux “prisonniers” français l'un René, originaire de Bordeaux, l'autre, Léon de Limoges, tous deux dans la force de l'âge (un peu plus de 30 ans.) Ils vivent là depuis près de 5 ans, envoyés par le camp de prisonniers ( le stalag ) auquel ils appartiennent pour aider aux travaux des champs. Seul Léon travaille dans cette ferme, René, lui, appartient à une ferme voisine. Tous deux sont en pleine forme! Et nous avons tôt fait de lier connaissance.

Dans la ferme où travaille Léon il y a trois femmes : la mère, une femme très accorte qui doit avoir à peine 40 ans, et ses deux filles qui ne doivent pas encore avoir 20 ans. Elles n'ont pas l'air trop craintives et parlent quelques mots de français, Léon leur ayant sans doute servi de professeur. Ce dernier est le seul homme de la ferme, le mari de la fermière a été tué en Russie en 1942 et le fils, qui combattait aussi sur le front de l'est, est depuis quelques mois, porté disparu..

A son comportement, je ne suis pas long à comprendre que, depuis longtemps sans doute, Léon ne couche plus dans le petit local prévu dans chaque ferme employant des prisonniers, où il devrait normalement passer ses nuits enfermé à double tour. Il est, en fait, devenu à présent, et dans tous les sens du terme, le “patron” de la ferme et ne semble pas du tout décidé à rentrer en France, au contraire. Je me souviendrai toujours de l'avoir entendu dire : “Je n'ai aucune attache en France où, avant la guerre j'ai toujours travaillé comme valet de ferme. Qu’est-ce que j'irais bien f .. e à Limoges. Je suis très bien ici!.” Tous ces gens ne semblaient pas avoir beaucoup souffert physiquement de la guerre et je me souviens que les femmes nous ont fait manger de délicieuses tartes recouvertes d'une épaisse couche de crème de lait qui n'avait rien d'un “ersatz” car nous avons pu voir plusieurs vaches dans l'étable.

Après cet intermède, le soir, un half-track vient me chercher et un nouveau GMC m'est attribué avec son plein de jerrican, avec lequel, le 9 au matin, je vais compléter les chars. Pforzheim étant tombé la veille, l'escadron poursuit sa route vers Neuenburg, à une dizaine de kms au sud, les chars sont arrêtés par des abattis qui barrent la route très encaissée mais, néanmoins, une cinquantaine de prisonniers sont faits et deux canons anti-chars capturés.

Le 10, l'Allemand s'accroche à Neuenburg qu'il défend âprement, soutenu par de violente tirs d'artillerie; un de nos équipages de chars est durement “sonné” ( 3 tués, 2 blessés ) . Je vais ravitailler en plein jour et en plein bombardement. Encore une fois sans casse. Ce qui me vaudra ma deuxième citation, à l'ordre de la Brigade cette fois. Neuenburg est pris dans la soirée.

Le 11, le sous-groupement C se regroupe au sud de Neuenburg, à Schwann.

Le 12, toujours à Schwann, nous avons la “visite” de six avions de chasse allemands qui, sans doute à court de munitions, après avoir décrit quelques cercles autour du village., ne font que passer, nous ignorant superbement.

Le 13, action de l’escadron, toujours avec sa compagnie de Légion, en direction du sud-est, sur Waldrennach et Feldrennach qui tombent sans grands combats.

Le 14, attaque dès 7 heures 30 en direction de Langenbrand qui paraît fortement tenu. Le char Noyon repère un Panther ennemi mais ne peut le mettre hors de combat car ses obus de 75 ricochent sur son épais blindage; c'est le Maréchal des Logis Chef Larmagnac, avec le char Nomade II qui le détruit avec son canon de 76 anti-chars. Langenbrand tombe et l'escadron poursuit son action jusqu'à Schomberg qui est atteint en fin d'après midi. A la nuit, alors que les canons ennemis se mettent de la partie, j'entreprends le ravitaillement des chars très éparpillés. Ce qui m'amène à en terminer vers 3 heures du matin. Depuis Pforzheim, nous étions entrés dans une zone assez montagneuse des contreforts nord-est du massif de la Foret Noire (Schwarzwald) et nous nous en dégageons pour aborder, plus à l'est, la vallée du Neckar.

Le 15, départ en début de matinée vers le sud-est en direction de Zavelstein puis Calw (petite ville à environ 30 kms à l'ouest de Stuttgart.) L'avance est rapide, le terrain se prêtant moins à la mise en place d'un système défensif des Allemands que nos chars prennent de vitesse. C'est ainsi que Calw est pris avant que les ponts ne sautent et de nombreux prisonniers - dont un Major (Commandant) - sont faits. Je récupère, à cette occasion, une paire de jumelles (que j'ai toujours d'ailleurs.)

Le 16, l'escadron se “donne un peu d'air” en élargissant sa conquête autour de Calw. Après avoir ravitaillé, je dois retourner à une bonne vingtaine de kms en arrière pour compléter mes jerricans et embarquer de nouvelles munitions. Les routes ne sont pas toujours sures, mais il faut faire avec.

Le 17. Le temps est magnifique, la vallée du Neckar s'offre à nous, plein sud. Successivement les villages (apparemment intacts mais dont toutes les fenêtres arborent une multitude de drapeaux blancs) de Waldorf, Oberschwandorf, Haiterbach et Tailheim tombent entre nos mains . Enfin, les ponts de Horb sur le Neckar, tombent intacts, l'ennemi n'a pas eu le temps de les détruire. Dans la journée nous avons réalisé une avance de plus de 30 kms!. La nuit se passe sous un fort bombardement de mortiers allemands.

Le 18, l'escadron est toujours à Horb et une compagnie de Commandos nous est attribuée en renfort, en plus de la Légion, pour assurer le “nettoyage” de la petite ville où se trouvent encore de nombreux fantassins ennemis. Dans l'après-midi, l'infanterie allemande restée dans quelques maisons à l'est de la ville, tente une contre-attaque qui est repoussée. Des prisonniers sont fait, et je récupère un appareil photo ainsi qu'un poignard des Hitlerjugend (jeunesses Hitlériennes) que portait un gamin d'environ 15 ou 16 ans qui, armé d'un panzerfaust s’apprêtait à bazooker un de nos chars avant d'être fait prisonnier. J'ai toujours ce poignard, marqué de la croix gammée, et sur la lame duquel (un peu rouillée depuis le temps) On lit toujours la devise des H.J. : Blut Und Ehre (Sang et Honneur.) Dans la soirée, nouveau et très violent bombing de l'artillerie et des mortiers ennemis. Un obus de mortier tombe “pile” sur le canon d'un des deux chars armés d'un canon de 76 anti-chars qui, de ce faite devient inutilisable. Une vraie déveine.

Le 19, toujours à Horb, le Combat Command n0 I de la 1ère Division Blindee (celle qui a pris Mulhouse en novembre dernier) traverse le pont du Neckar pour attaquer en direction du nord-est, vers Reutlingen. Sa progression est très sérieusement ralentie par une très violente réaction de l'artillerie et des “minens” (mortiers) allemands qui s'acharnent à empêcher le franchissement sur le pont. Avec mes équipages je suis installé dans une maison située à moins de 100 mètres du pont; dans la maison située en face de la mienne et dont elle est séparée par un petit chemin en escalier d'environ 2 mètres de large menant à la rue située en contrebas, sont logés l'Adjudant Chamousset et le Maréchal des Logis Chef Citerne. Le hasard fait qu'un obus de mortier, tombe sur l'entablement d'une fenêtre de la pièce dans laquelle se trouvent les deux camarades. Fauchés par les éclats ils sont tués net. Le convoi ayant enfin réussi à passer en entier, les tirs se calment dans l'après-midi et la nuit est relativement sereine.

Le 20, nous quittons Horb et partons vers le nord, direction Stuttgart, par Nagold, charmante petite bourgade intacte et déjà libérée, célèbre par ses joailliers (comme son nom l'indique !), Metzingen, Tailfingen et Dietenhausen où nous passons la nuit, sans avoir pris vraiment contact avec l'ennemi.

Le 21, l'escadron part pour Waldenbuch, à une quinzaine de kms au sud de Stuttgart à la prise de laquelle il va participer; au passage, cela accroche un peu dans le village de Weil in Schonburg où je prends, au balcon de la Rathaus (Mairie) où il flotte encore, le drapeau rouge à croix gammée noire dans un cercle blanc, symbole du “Gross Deutsche Reich”. Je l'ai toujours, il fait partie de mes trophées..

En début d'après-midi, l'escadron pousse vers le nord, prend Steinfelden et Möhringen, entre dans Vaihingen, faubourg sud de Stuttgart que l'Allemand défend âprement, maison après maison, rue après rue. Précédés par les Légionnaires, les chars avancent quand même mais l'ennemi tire depuis les étages et s'enfuie par les jardins. Le char Nemours II de mon ami, le Maréchal des Logis Jacques Lamotte est frappé en pleine tourelle par un “panzerfaust”. Jacques meurt sur le coup, tout comme le tireur du char, le Brigadier Brousse, le corps criblé d'éclats de blindage.

Après François Lasserre, je viens de perdre celui avec lequel j'avais aussi partagé tant de peines et de joies. Je le revois toujours quand on l'a sorti de son char (qui n'avait pas pris feu) et qu'on l'a amené dans une maison, allongé sur un lit. Son visage, intact, est calme. Il n'a pas vu la mort venir, on lui a fermé les yeux. Son blouson est tout rouge de son sang! Adieu Jacky! . Repose maintenant en paix, avec François, au Paradis des braves. Vaihingen est pris. Plus de 150 prisonniers sont faits. Pourtant, parce qu'il le faut bien, la vie continue. Il ne faut pas trop penser.

Le 22 avril Stuttgart tombe également, l'escadron repart vers le sud et, par Tubingen, revient à Horb où nous passons la nuit.

Dès le 23 avril va commencer une mémorable “chevauchée” qui en deux jours va nous amener, après un raid d'environ 150 km, à quitter le pays de Bade, nous enfoncer en plein cœur de la province agricole du Wurtemberg pour arriver, le 24 au soir à Aulendorf (à une trentaine de kms au nord de Friedrichshafen, la “patrie” des fameux dirigeables Zeppelin, située sur le Bodensee (le lac de Constance, la côte d’azur des Allemands). Nous allons effacer la honte de la débâcle de 1940 et cette fois c'est nous qui allons mener la blitzkrieg, la “guerre éclair”. En effet, partout les Allemands lâchent prise, à l'exception de quelques unités de fanatiques, SS pour la plupart qui, avec l'aide de gamins de 14 à 16 ans issus des Hitler Jugend, préfèrent se sacrifier plutôt que d'assister à l'écroulement de leurs rêves et de leur pays. Hitler leur avait promis un Reich qui devait régner sur le monde pendant au moins mille ans.

Les autorités nazies encore en place tentent de mettre sur pied des unités de “combattants” en équipant tant bien que mal des vieillards des réformées des éclopés, des enfants! . Ces nouvelles unités (le Volkstrum - l'assaut du peuple-) ne seront pas, du moins dans la région où nous sommes, d'une bien grande utilité malgré les nombreux panzerfaust dont elles sont dotées. Elles n'ont plus (les vieux surtout ) le moral et ne résisteront guère à nos assauts. On parle également de groupes de soldats laissés volontairement en arrière pour semer la pagaille sur nos itinéraires de ravitaillement. Ce sont les fameux Wehrwolf (loups-garous) qui, bien qu'ayant réellement existé, n'ont pas eu, heureusement pour nous, le résultat escompté.

Du 23 Avril au 8 Mai 1945

P

our cette période je vais, d'une parte recopier ce qu'en dit de façon très succincte, le “journal de marche” de mon escadron puis ensuite recopier mon carnet de route, assez succinct lui aussi mais assorti de souvenirs personnels.

Extrait du “journal de marche”de l'escadron.

Le 23 avril, l'escadron quitte Horb vers 8 heures et, par Sultz, Rottweil, Trossingen, Tuttlingen (où il traverse le Danube), Neuhausen et Wondorf arrive à Mühlingen vers 16 heures et s'installe pour la nuit. L'ennemi ne nous a opposé, tout au long du trajet, que des résistances sporadiques dont nous sommes facilement venus à bout.

Le 24 avril, départ de Mühlingen vers 11 heures et, en fin de journée l'escadron est à Aulendorf avec un peloton et Reute avec les deux autres.

Les 25, 26 et 27 avril l'escadron est au repos forcé à Reute et Aulendorf, les ravitaillements en essence et munitions n'arrivant plus; en effet, de nombreux groupes d'ennemis se trouvent encore sur nos arrières. Il faut attendre que le “nettoyage” soit fait.

Et à présent mon “carnet de route.”

23 avril.

Décollons à 8 heures pour une destination inconnue. Passons par Sultz, Oberndorf, Rottweill, Bülhingen, Lauffen, Trössingen; à chaque maison toujours ces mêmes bouts de tissus blancs. Nous stationnons un moment dans ce dernier village. Faisons une centaine de kms aujourd'hui. Devons nous trouver ce soir à Mühlingen (30 kms au nord de Constance) . Avance formidable. Repartons par Tüttlingen où nous franchissons le pont sur le Danube qui n'est pas spécialement bleu aujourd'hui. Stationnons un moment près de la fabrique d'accordéons Hohner. Notre camarade Pamies, accordéoniste confirmé, qui s'est déjà maintes fois produit à Radio Alger avant d'être mobilisé, en profite pour faire l’acquisition de deux spécimens dont un accordéon piano de toute beauté. Nous continuons par Neuhausen et Schwandorf et arrivons à Mühlingen. Recomplètement des pleins et je repars dans la nuit, tous mes jerricans étant vides chercher de l'essence à Horb où nous étions ce matin.

24 avril.

Pas dormi de la nuit; avec Tognet nous conduisons à tour de rôle et prenons le risque de rouler “pleins phares”. Pas de mauvaises rencontres; il fait encore nuit lorsque j'arrive à Horb où je cherche désespérément le dépôt de carburant où je dois m'approvisionner. Je finis par le trouver mais il n'a plus d'essence et un responsable me dit qu'il est en cours de déménagement vers Tüttlingen . Je réussis quand même à avoir 3 jerricans pour mon GMC et je reviens à Neuhausen . Je repars dans l'après-midi pour Tüttlingen, pensant que le dépôt de carburant est enfin installé.. Il est bien en cours d'installation mais il n'a pas d'essence, il me faut repartir à Horb où il y en a à nouveau parait-il. J'ai fait plus de la moitié du chemin quand après Oberndorf, je dois faire demi-tour la route étant coupée par une incursion ennemie. Pour tout arranger mon GMC tombe en panne de freins (tuyauterie d'huile de freins sectionnée) Nous retournons à Mühlingen comme nous le pouvons, uniquement au frein moteur . Durant environ 100 kms. Et toujours pas d'essence!

25 avril.

Après une courte nuit de repos, tuyauterie de freins réparée, je repars pour Tüttlingen (où il n'y a toujours pas d'essence) et, pour la troisième fois, je prends la direction d'Horb. 10 kms environ avant d'arriver nous crevons trois pneus après avoir roulé sur des pièges à pointes de métal posés par quelque élément ennemi. Après réparation par moyens du bord ( en ne laissant qu'une roue sur deux aux jumelages arrières du GMC ), nous arrivons au dépôt qui n'a toujours pas déménagé mais qui, enfin, peut remplacer mes jerricans vides par des pleins et m'échanger les trois roues crevées. Je repars dare-dare vers mon escadron dont je ne sais absolument pas où il peut se trouver car je l'ai quitté à Mühlingen et je doute qu'il y soit encore . Pas de téléphone, bien sûr, et pas de radio non plus, les GMC n'en sont pas dotés. Le soir, je vais coucher à Oberflatch où je trouve un détachement de la Legion de mon sous groupement et qui doit, demain, rejoindre mon escadron qui se trouve encore plus à l'est.

26 avril.

Je pars à 5 heures du matin avec la Legion et, par Messkirch, Walde Efullendorf, Ostrach et Altshausen ( que les Allemands ont incendié parce que les habitants avaient arboré, un peu trop à l'avance le drapeau blanc ) j'arrive à Aulendorf, accueilli comme un revenant car, depuis 48 heures sans nouvelles de son ravitailleur, mon escadron se demandait s'il me reverrait jamais. J'ai, en trois jours, parcouru environ 800 kms dans une région encore infestée d'ennemis et sur des routes fréquemment coupées. J'ai, encore une fois, eu beaucoup de chance. Je vais dormir comme un ange à Reute ce soir.

Voilà donc ce qu'en a retenu mon “carnet de route”.

Le 27 avril, toujours à Reute, une assez forte unité SS vient nous accrocher dans la nuit mais, après avoir subi quelques pertes suite à notre réaction “musclée” n'insiste pas et décroche.

Le 28 nous quittons Reut en direction du lac de Constance en passant par Staig et la petite ville de Ravensburg que nous contournons car elle est encore tenue par quelques éléments ennemis dont le sous-groupement B est chargé de s'occuper et, après quelques escarmouches, occupons Bavendorf où nous passons la nuit. Nous apprenons que les troupes américaines et russes ont fait leur jonction, plus au nord-est, sur l'Elbe, à Torgau au sud-ouest de Berlin totalement encerclée et où la bataille fait rage. Il se dit aussi que Himmler aurait demandé l'Armistice. Nous sentons bien que la fin de cette guerre ne saurait tarder, les prisonniers que nous faisons de plus en plus nombreux n'hésitent plus à nous dire leur lassitude.

Le 29, en tout début d'après midi nous quittons Bavendorf, direction sud. Le village d'Oberzell est pris au passage, puis Meckenbeuren où une cinquantaine de prisonniers sont faits. L'avance continue parmi les pommiers en fleurs. Je note d'ailleurs ce jour-là dans mon carnet : “Comme il est joli ce coin d'Allemagne! . L'air sent bon. On ne se croirait pas en guerre!..” Dans la foulée, l'escadron s'empare de Tettnang où nous cantonnons. Nous sommes à 5 kms du Bodensee et de Friedrichshafen. Dans tous les villages traversés, peu ou pas de dégâts. Région essentiellement agricole, le Wurtemberg ne possédant que très peu d'industries n'a pratiquement pas subi de bombardements aériens, à l'exception de Friedrichshafen, complètement “aplatie” du fait de la présence d'une très importante industrie aéronautique.

Des hauteurs où nous sommes nous voyons miroiter le lac tout proche et, dans la nuit, quel n'est pas notre étonnement de voir, à une vingtaine de kms plus au sud, la ville suisse de Romanshorn toute illuminée. Ici c'est encore la guerre. Là-bas c'est toujours la paix et les habitants s'y endorment tous les soirs sans craintes. Quel heureux pays que la Suisse.

Le 30 nous franchissons, sans rencontrer la moindre résistance, les derniers kilomètres qui nous séparent du lac de Constance et atteignons, en fin de matinée, la ville de Lindau, tout au bord du lac et qui est la dernière ville allemande avant la frontière autrichienne. Il fait un temps splendide et le spectacle offert par les Alpes suisses et autrichiennes encore enneigées est féerique.

Dans l'après-midi un peloton de chars est envoyé en reconnaissance sur la route qui mène à Bregenz (première ville autrichienne à 1 ' extrémité est du lac) jusqu'au pont sur la Baumle qui sert de frontière. Alors qu'il arrive à moins de 100 mètres du pont, le char Ney II (Maréchal de Logis Chef d' Harembure) voit l'ouvrage sauter et, avant qu'il ait pu se replier, il prend un coup de panzerfaustl et prend feu. Les légionnaires qui accompagnent les chars mettent hors de combat le panzergrenadiere auteur du coup mais l'équipage du char compte un tué (le brigadier Christen) - qui sera notre dernier tué de la guerre - deux blessés et deux autres qui s'en sortent indemnes. L'escadron passe la nuit à Lindau.

Je viens de parler du Brigadier Christen. Curieux destin que le sien. En effet, il n'est pas tout jeune, il a participé comme tireur de char, déjà, à la campagne de France de 1940 où, dans la région de Dunkerque, son char détruit et lui-même blessé, il a été fait prisonnier et envoyé en Allemagne où il est resté jusqu'en août ou septembre 1944. Ayant réussi à s'évader, il est passé en Suisse et est revenu en France vers la fin de l'année 1944 où il s'est, sur le champ, rengagé dans notre régiment pour reprendre le combat. Brave Christen. Quel bon camarade nous venons de perdre si près de la fin!.

Le 1er mai nous quittons Lindau pour pénétrer en Autriche, dans les premiers contreforts des Alpes tyroliennes, juste au nord de Bregenz, à Burgstall (nous sommes en effet en Autriche, mais seulement à quelques mètres de la frontière) Nous cantonnons dans une scierie tenue par la famille Schultz, dont la fille Ruth (une rouquine assez quelconque d'environ 16 à 17 ans) comme je l’ai remarqué dans mon carnet, était assez délurée et pas du tout craintive) Chemin faisant nous avons fait une soixantaine de prisonniers qui, en fait, en ont “plein les bottes” et ne cherchaient qu'à se rendre. Dans la soirée la neige se met à tomber et il fait très froid.

Les 2 et 3 mai, après avoir recomplété les pleins et être retourné à Tettnang pour me réapprovisionner, je reviens à Burgstall où la neige se transforme en pluie mais où il fait toujours aussi froid.

Le 4 mais nous quittons Burgstall pour Bregenz que d'autres unités ont libérées le 1er mai et où déjà de nombreuses pancartes mises en place par le Haut Commandement Français nous indiquent : “Ici l'Autriche - Pays ami” afin d'éviter d’éventuelles exactions vis-à-vis de la population qui, il faut bien le reconnaître, nous accueille plutôt en “libérateurs” bien que tous les hommes valides, depuis L’Anschluss en 1937 (l'annexion de l'Autriche par l’Allemagne) combattent toujours sous l'uniforme allemand.

Sur mon petit carnet j'ai mentionné que, avec mon fidèle conducteur Tognet, je suis logé chez Madame Alfred Draxl veuve d'un âge déjà respectable (la cinquantaine environ) et dont la fille Heddy, qui a environ 25 ans, est mariée à l’ Unteroffiziere Krepelka dont elle n'a plus de nouvelles depuis plusieurs mois nous dit-elle. Il était donc sous-officier dans une unité de “fallschirmjàgers” - chasseurs parachutistes - quelque part en Hollande en septembre 1944 et n'a plus donné de nouvelles depuis. “Krieg gross malheur” nous disent ces deux femmes qui nous accueillent pourtant de façon très gentille et que nous faisons largement profiter de nos rations, car, depuis longtemps, elles ont perdu le goût du vrai café (même soluble) et du chocolat. C'est donc à Bregenz, avec le beau temps revenu, que nous passons les journées des 5, 6 et 7 mai . Je me promène dans les rues à peu près intactes et prends quelques photos. Notre départ direction l'Arlberg et Innsbruck est prévu pour le 8 mai. L'escadron a reçu deux chars de remplacement et se trouve actuellement à 8 chars. Bien loin quand même des 17 qu'il devrait normalement compter, mais il est dit que nous ne partirons pas.

Le 7 mai 1945, vers 19 heures, nous apprenons la nouvelle de l'Armistice. C'est la joie, oui, bien sûr, mais pas pour autant l'euphorie car trop de nos camarades ne sont plus et leur souvenir est encore trop frais pour que l'on puisse ne pas en tenir compte. Une unité de DCA se trouve avec nous à Bregenz. De toutes leurs armes : affûts quadruples de mitrailleuses de DCA, canons Bofors de 40 mm, ils envoient leurs gerbes de balles et d'obus traçants vers le ciel. C'est notre feu d'artifice de la Victoire. Chez les Draxl - Krepelka, Madame Draxl se met au piano et, après nous avoir dit, avec un sourire un peu triste : “Fur sie” - pour vous - interprète le “Beau Danube Bleu” tandis que des larmes coulent le long des joues de sa fille Heddy à qui je ne puis m'empêcher de dire, dans le peu d'allemand que je connaisse : “Her kommt zuruck!” - il reviendra! . Car je sais qu'en ce moment c'est à son mari qu'elle pense.

Le 8 mai, adieu Bregenz. Nous quittons L'Autriche revenons en Allemagne et, par Lindau, Friedrichshofen et Markdorf, allons nous installer dans le tout petit village de Ahausen. Une autre vie, moins trépidante, moins dangereuse, va commencer.

Ainsi donc c'est fini. J'éprouve tout d'un coup une sensation de vide et l'impression de me trouver face au néant. C'est pour moi la fin brutale d'une exaltation qui m'a en permanence habitée durant tous ces mois, ces années d'espérance afin que son honneur soit rendu à ma patrie et à son armée. Et maintenant ? Que vais-je devenir ? Je n'y pense pas. Pour l'instant je veux surtout vivre. Je m'en sors physiquement intact; pas une égratignure, pas une goutte de sang versée pour mon pays. Comme je l’ai souvent dit à ceux qui m'appelaient le “petit”, ça sert quand même d'être petit à la guerre. La cible est plus réduite pour les balles et les éclats d'obus. Moralement, par contre, il en va autrement. Passé directement de l'enfance à l'âge adulte, j'ai à peine 21 ans (donc tout juste majeur à l'époque aux yeux de la loi) mais je crois avoir, déjà, “beaucoup vécu”. Je me sens déjà vieux. Le “pain noir”, c'est celui que j'ai mangé en premier, depuis ma naissance ou presque. Je n'ai pas eu d'adolescence car c'est depuis l'âge de 16 ans qu’il a fallu que je me prenne en charge. Maintenant j'aspire à “manger un peu de pain blanc”. Je fais confiance à l'avenir pour y parvenir car, si j'ai vieilli, je me suis aussi forgé un moral de “battant” et compte bien faire mienne la devise de Cyrano de Bergerac :

« Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul. »
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MessageSujet: Re: SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS   SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Icon_minitimeDim 7 Nov 2010 - 9:04

Histoire 2

Un Spahi au Maroc
( janvier 1955 - juillet 1957)

Nous avons très peu dormi cette première nuit parisienne de nos retrouvailles tellement était immense le bonheur de nous sentir à nouveau réunis! Combien il nous semble beau le soleil de ce jour d’octobre qui se 1ève sur la capitale !

Avant de partir vers la région bordelaise il me faut donc aller au Ministère des Armées, à la DPMAT (Direction des Personnels Militaires de l'Armée de Terre) où je dois régulariser ma situation y faire établir mon congé de fin de campagne et voir quelles seront mes possibilités de future affectation.

C’est tout joyeux que, laissant Dèdèe et Noël à l’hôtel, je prends le métro pour le Boulevard St Germain. Là, le colonel qui me reçoit me dit que, en tant qu’officier venant de servir à la Légion Etrangère il ne voit pas pour moi d’autre affectation future que le 28ème Etranger de Cavalerie à Oujda au Maroc. Pour des raisons que j'ai déjà exposées précédemment, je me vois, avec regret je l’avoue, obligé de décliner cette offre. Il m’est alors demandé de faire connaître mes préférences parmi les régiments de l’ABC stationnés en France en Allemagne et en Afrique du Nord.

Je demande, d’abord, à retourner au 1er CUIRS (le régiment de mon coeur, bien sûr) mais il m’est répondu que,ayant déjà servi longtemps en Allemagne comme sous-officier puis officier avant mon départ pour l’Extrême-Orient, je n’ai pratiquement aucune chance de voir mon voeu exaucé.

Deuxième choix : le 1er Régiment de Chasseurs d’Afrique ( là aussi c’est encore mon coeur qui parle !) ce à quoi il m’est laissé entendre que à moins d’être « fils d’ archevêque » ou d’avoir au moins « un député bien en cour ou un Général dans ma manche », il vaut mieux que je ne me berce pas d’illusions. D’ailleurs, me dit cet officier supérieur, toutes les places de lieutenant déjà ancien sont prises dans les régiments d'AFN, notamment ceux stationnés au Maroc J'aurai l’occasion de constater que cette affirmation était, pour le moins, surfaite.

Je maintiens quand même mes demandes pour une affectation, soit aux Forces Françaises en Allemagne, soit au Maroc. De plus, comme il me faut quand même choisir un régiment en France, autant aller dans un régiment où je connais déjà quelqu’un aussi je "choisis" le régiment stationné à La Valbonne à l’est de Lyon, où mon ami Galtier, avec qui j’étais au 1er Etranger de Cavalerie se trouve désormais affecté. Muni de mon congé de fin de campagne de 90 jours, je quitte la DPMAT assez déconfit et persuadé qu’en définitive, je serais, dans quelques mois, affecté à La Valbonne. Mais, tout au bonheur de vivre trois mois de vacances avec mon épouse, je n’en fais pas pour autant « une maladie » et puis j’y suis habitué... à la grâce de Dieu!... . Inch Allah! ...
.De retour à Saint-Cloud, nous prenons aussit8t la route, en fin de matinée, direction Bordeaux. C’est Dédée qui conduit la Simca Aronde et je suis étonné de voir avec quelle maestria elle se joue des difficultés de la circulation dans cette banlieue parisienne. Où est la jeune apprentie conductrice que j’avais laissée deux ans et demi auparavant, toute frêle et tremblotante au volant de la grosse Traction avant Citroën ?

En 1954 il n’y a pas beaucoup d’autoroutes en France (on commence à peine leur construction) mais la circulation y est encore très fluide aussi par Etampes et Orléans sommes-nous assez rapidement au bord de la Loire, à Blois. A Tours, nous faisons un petit détour à Montbazon pour aller dire un petit bonjour à la cousine Yvonne et son mari Camille Moussu à Monts et nous reprenons la route jusqu’à Poitiers où nous décidons de passer la nuit dans un hôtel en face de la gare.

Ah! Cette nuit à Poitiers, nous nous en rappelons bien. Là non plus nous n’avons pas beaucoup dormi mais pour d’autres raisons.

Les chambres de notre hôtel donnaient sur la gare et, à cette époque, la circulation des trains était aussi intense de nuit que de jour, y compris pour le trafic "voyageurs" et les chambres n’étaient pas comme à présent, équipées de double vitrage aux fenêtres, aussi, tout au long de la nuit, non seulement le roulement martelé des trains sur les voies nous tenait éveillés mais, en plus, chaque train de voyageurs s’arrêtant en gare était accueilli par un tonitruant Poitiers, le POI- dit sur une note haute et brève, le -TIERS dit sur une note plus grave et traînante, répété plusieurs fois au mégaphone à hauteur de chaque wagon.

Quand nous sommes repartis le lendemain matin, "bien reposés", à chaque feu rouge qui nous contraignait à l'arrêt, Noël, à l'arrière de la voiture ne manquait pas de singer le "stentor" de la gare en nous répétant : POI - TIERS!

Angoulême, Barbezieux et voici en fin de matinée, Bordeaux dont nous apercevons, au loin la flèche de l'église Saint-michel La côte des quatre Pavillons, le Pont de Pierre (Il n'y a encore qu'un seul pont routier sur la Garonne à Bordeaux.

Sans nous arrêter nous filons par les boulevards vers la barrière de Saint Médard,

Direction Issac où Louise et Jean-Claude nous attendent. C'est là que nous allons passer le plus clair de mon congé, dans un petit deux-pièces meublé situé dans une maison proche. Nous serons au calme, mais pas tout à fait le calme absolu care chaque jour ou presque nous serons réveillés de très bon matin, non par un quelconque gallinacé, mais par le fils de nos voisins, dont nous ne sommes séparés que par une simple cloison, qui levé dès potron-minet, débute chacune des nombreuses questions qu'il pose à son père d'un claironnant « Dis, papa! »

Prenant nos repas chez mes beaux-parents, ces quatre vingt dix jours de vacances ont bien vite passé, entrecoupés de voyages à Parentis chez mes parents et chez les oncle et tante Coussillan. Nous en avons également profité pour aller à Lyon, rendre Visite à mon ami Galtier, son épouse et sa grande fille. Avec eux, nous sommes allés voir à La Valbonne ce qui sera, peut-être, ma future affectation. A dire vrai nous n'avons pas été franchement emballés, compte-tenu surtout des possibilités de logement qui, à l’époque y étaient offertes.

Au retour de LYON nous avons fait une halte dans ce qui fut le village martyr d'Oradour sur Glane, dans la Haute Vienne, totalement anéantie en juin 1944 par la Division allemande SS Das Reich, et dont seulement de très rares habitants échappèrent au massacre, tout ayant été laissé en l'état, quelle tristesse, quelle désolation émanaient encore de ces ruines que les mousses et herbes folles envahissaient. Il y planait encore comme une odeur d'incendie et de charnier. L’ombre de tous ces morts était bien là, présente.

À quelques kilomètres de là nous avons rendu visite aux rares survivants de la famille de Dédée les Marchadiers, originaires de Roumazières, aux confins de la Charente et de la Haute Vienne; les Blanchetons, branche maternelle de Dédée, étant eux originaires de Saint Junien, dans la Haute Vienne, proche de Limoges.

A la Toussaint 1954, voilà que la rébellion éclate en Algérie où des Européens, colons et instituteurs notamment, sont égorgés dans les Aurès et les Nementchas, massifs montagneux au sud-est d'Alger. Ce qui va devenir la "guerre d'Algérie" vient de commencer alors qu'en haut-lieu on s'accorde à penser qu'il ne s'agit que d'une flambée de colère toute passagère.

Vers la fin novembre me parvient ma nouvelle affectation : le 4ème Régiment de Spahis marocains, stationné à Fès, au Maroc. J'en suis tout ébahi car, après ce qui m'avait été dit à la DPMAT, n'étant pas "fils d'archevêque" je ne m'y attendais pas du tout. Sans doute les évènements d'Algérie y sont ils pour quelque chose. Cette affectation nous comble d'aise. Dédée va ainsi avoir l'occasion de connaître un coin d'Afrique.

Je dois rejoindre mon nouveau régiment pour le 15 janvier 1955. il nous faut donc penser à acheter nos premiers meubles à commencer par une chambre à coucher, une table et quelques chaises, pour le reste nous verrons bien sur place.

Voici décembre qui passe bien vite. Le District Maritime de Bordeaux me fait savoir que, le 8 janvier, j'embarquerai à Bordeaux à destination de Casablanca sur le paquebot « Maroc ». Je partirai seul, mon épouse chérie me rejoindra un peu plus tard, le temps que je puisse trouver à nous loger à Fès. Noël et le Jour de l’an se passent en famille dans la joie, joie d'autant plus grande qu'il semble bien que ma Dédée soit au tout début de l'attente d'un heureux événement
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MessageSujet: Re: SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS   SOUVENIR DU MAROC DES FRANCAIS, ESPAGNOLS, PORTUGAIS, ITALIENS ET AUTRES EUROPEENS Icon_minitimeDim 7 Nov 2010 - 9:12

Histoire 2
Suite...

Et le 8 janvier est là. Mon départ de Bordeaux ne ressemble en rien à ce que fut un peu plus de deux ans et demi auparavant, mon départ pour l’Indochine. Là, Dédée est venue, en famille m'accompagner,jusqu'au port et c'est sans la moindre crainte pour notre avenir que je l'embrasse une dernière fois avant de franchir la coupée du paquebot Maroc.

Voyage sans histoire qui me voit, deux jours plus,tard, débarquer à Casa, sur ce port que je retrouve 13 ans après l'avoir quitté et qui me rappelle de si poignants souvenirs. La ville a bien changé. Il y a toujours la Place de France mais désormais elle est tout autour surplombée de mini gratte-ciel et est toujours aussi animée. Au centre de transit situé tout près du port et où je suis logé, je ne reste qu'une nuit et, dès le lendemain je prends le train Casablanca – Oujda qui, par Rabat et Meknes m’améne à destination en milieu d'après-midi. Une jeep m’attend et je suis aussitôt présenté au Lieutenant-Colonel Martin Siegfried.

Mon nouveau chef de corps, qui m’affecte d’emblée au 1er Escadron comme Lieutenant en premier, c’est à dire, en somme, adjoint au Capitaine Jacques Bordier qui le commande. Je prends également le commandement du 1er Peloton.

A l’escadron nous ne sommes que deux officiers chefs de pelotons, le Sous-Lieutenant Turck et moi. Où est-elle la pléthore de lieutenants dont on me parlait à la DPMAT ? Le 3ème peloton étant commandé par le Maréchal des Logis Chef Schwartz.

Le régiment est équipé d’ EBR (Engin Blindé de Reconnaissance) armé d’un canon de 75mm anti-chars et fabriqué par Panhard. C’est un matériel récent, aux capacités tous terrains évidentes et qui a la particularité de pouvoir rouler avec la même facilité dans un sens que dans l’autre. L’équipage de chaque engin est de 5 hommes : un chef de bord, un tireur, un chargeur, un pilote avant, un pilote inverseur. Il n’est donc plus nécessaire de faire demi-tour sur les routes et chemins étroits que nous allons être appelés à parcourir, ce qui nous sera, bien-souvent, fort utile.

L'ambiance du régiment est excellente et j’ai très vite fait de m’y sentir à l’aise et d’y faire mon trou. Le ménage Turck me prend sous son aile protectrice en attendant que mon épouse me rejoigne et je suis fréquemment invité chez eux. Lui, Gilbert, est un ancien adjudant-chef promu sous-lieutenant et a bien dix ans de plus que moi. Ils m’apprendront beaucoup de choses car le Maroc, ils le connaissent, et Fès en particulier. Pour commencer, je suis logé à l’hôtel, tout prés du mess des Officiers, sur l’avenue de France, dans ce que qu’on appelle alors la ville nouvelle, la ville européenne qu’en arabe on nomme Fès el Djedid où Fès la jolie, comparativement à la ville arabe, médina ville impériale si riche en monuments et qui de tous temps est appelée Fès el Bali ou Fès l’ancienne.

A l’époque le Maroc est encore relativement calme. Certes les événements d’Algérie y ont quelques répercussions qui s’ajoutent au malaise latent qui subsiste depuis la destitution, puis l’exil du Sultan Mohammed V à la fin de 1953. Quelques échauffourées se sont déjà produites dans quelques médinas, notamment dans celle de Casablanca, mais les routes sont encore sûres et le "bled" ne connaît encore pas d’agitation marquée. Aussi, lorsque le service du logement de la garnison me fait savoir que, au début du mois de mai je pourrai disposer dans un grand bâtiment que l’on appelle la SIAF(et dont je suis bien incapable de dire ce que ce sigle signifie) situé dans l’avenue de France d’un studio, je décide de faire venir au Maroc ma chère épouse sans tarder. En attendant mail nous logerons tous deux à l’hôtel où je me trouve déjà. J’annonce aussitôt la nouvelle à Dédée et elle fait sur-le-champ le nécessaire auprès du District Maritime de Bordeaux pour pouvoir embarquer, ainsi que notre voiture et les quelques meubles que nous possédions. Les choses vont très vite et, courant mars, je suis prévenu que mon épouse chérie embarque sur le paquebot Ville-de Bordeaux pour Casablanca où je vais l’attendre. ..

Un peu plus de deux mois ont passé depuis que je l‘ai quittée. Elle est bien là, appuyée au bastingage alors que le Ville de Bordeaux accoste, toujours aussi pimpante, aussi-belle avec un tout petit peu plus d’embonpoint peut être. Elle a très bien supporte le voyage. Nous restons toute une journée à Casa pour récupérer notre voiture. Pour ce qui est des meubles, ils seront acheminés sur Fès où un garde meuble les prendra en charge en attendant que nous ayons notre logement.

Sans trop d’appréhension nous prenons la route direction Fès au volant de l’ Aronde par Fedala, Rabat, Sale et Meknès. Tout est nouveau pour ma Dédée chérie. Lorsque nous croisons des camions remplis de Marocains revêtus de leurs djellabas multicolores ou des fatmas aux mains tatouées de henné trottinant derrière un âne chevauché en amazone par le mari, elle rit de tout son coeur en me disant : "on se croirait en plein Carnaval." Eh oui, elle découvre l’0rient et ses coutumes le Maroc, son folklore et ses odeurs.

Les quelque 300 kilomètres qui séparent Casa de Fès sont vite avalés et nous voici à notre hôtel. Grace à l’amabilité des Turck dont l’épouse fera très vite connaître à Dédée d’autres épouses du régiment et la mettra au courant de la vie de garnison fassie, ainsi, tant que je serai au travail, je sais qu’elle n’aura pas le temps de s’ennuyer. De plus, les réceptions, dans le cadre du régiment, sont, à l’époque assez fréquentes, aussi, très vite, notre ménage va se sentir à l’aise dans son nouveau cadre de vie. De plus comme nous prenons tous nos repas au Mess nous Avons tôt fait d'è1argir le cercle de nos connaissances.

La grossesse de ma chère épouse se passe bien; le soir, nous quittons la chambre d’hôtel pour aller nous promener dans la rue Poeymireau toute proche où plusieurs marchands de brochettes ont dressé leurs étals. Bien que nous ayons déjà dîné au mess Andrée ne peut que très rarement résister à l’envie d’en manger que1ques unes en sandwich dans un bout de "quesrah" (galette arabe sans levain) largement enduite de "harrissa” (qu’elle prenait, au début, pour de la purée de tomates, mais qu’elle a fini par très apprécier. Elle a un appétit phénoménal, c’est bon signe.

Les jours passent, enfin nous emménageons fin avril à la SIAF, dans un petit studio situé au 1er étage. Au-dessous de nous loge le Lieutenant-colonel Grimaldi, de l'Infanterie de Marine, et au-dessus, un ménage avec enfants qui sera la cause, bien involontaire, d’un. nauséabond débordement dans notre logement

en effet, la tête d’une poupée d'un des enfants ayant, malencontreusement pris le chemin des WC, s’est retrouvée coincée dans un siphon de la canalisation d’évacuation situé entre le rez-de-chaussée et le 1er étage et on imagine aisément la suite et ses conséquences.

Autre accident qui aurait pu être beaucoup plus grave : un jour, constatant que le four à gaz de la cuisinière n'était pas allumé alors que l’on pensait l’avoir fait, en craquant une nouvelle allumette une assez forte explosion a entièrement détruit la porte vitrée qui permettait, de la cuisine, l’accès au petit balcon de notre studio. C’était fort heureusement 1’ètè, aussi n1’vons nous pas eu à en pâtir en attendant la réparation.

Nous prenons toujours le plus clair de nos repas au mess de garnison tout proche où nous côtoyons une bande de joyeux célibataires comme le Lieutenant Vergas et les Aspirants de Vogue, Honhon et de Flerieu entre autres.

La grossesse d’Andrée avance et elle est, à présent, bien ronde; bientôt se pose la question de son retour à Bordeaux. En effet, le professeur Mahon qu'elle a consulté avant d'embarquer pour le Maroc, lui a dit que, compte tenu de son premier accouchement avait nécessité une césarienne, afin d'éviter toute complication éventuelle, il serait hautement souhaitable qu’elle revienne à Bordeaux pour mettre au monde notre second enfant. Aussi, peu avant la mi-juillet nous partons tous deux à Casablanca ou elle prend le Constellation d'Air France à destination de Bordeaux, la naissance étant attendue pour dans un bon mois. Rentré seul à Fès, j'apprends que je viens d’être promu Chevalier de la Légion d’Honneur le 7 juillet et je recevrai ma décoration des mains du Colonel Martin-Siegfried le 14 juillet à l’occasion d’une prise d'armes.

Je ne suis pas long à me féliciter de savoir mon épouse en France, bien l’abri dans sa famille, car, au Maroc, la situation se dégrade rapidement. Bombe à Casablanca le 14 juillet causant de nombreuses victimes, émeutes à Marrakech et à Mekhnès puis dans la région d'Oued Zem où en août, plusieurs dizaine de Français seront tués lors du soulèvement de tribus de la région. Cette rèbe1lion prenant de l’ampleur nécessite l’intervention immédiate de l’armée, dont mon régiment. C’est donc en opérations au sud-est de Casablanca, entre Kenitra et Oued Zem que je reçois, fin août, un télégramme m’annonçant le décès de mon père le 29 août à l’age de 74 ans. Je ne pourrai assister à ses obsèques car les possibilités de liaisons de 1’èpoque sont trop rares d’une part, d'autre part, la situation insurrectionnelle du moment ne m’en laisse pas la possibilité.

Trois jours plus tard, un autre télégramme m’annonce la naissance, le 31 août, de notre fils : Christian, Pierre, dans d’excellentes conditions et de façon tout à fait naturelle à la maternité de la Clinique Lavalance à Caudéran. J’en suis ravi et je sais qu’il en va de même pour ma Dédée chérie. C’est un peu de baume sur la "cicatrice" d’avril 1951.
Très rapidement, compte tenu des mesures prises, les tribus rebelles déposent les armes et demandent « l’amman" (le pardon) Contrairement à ce qui se passe en Algérie où la rébellion s’étend, la situation semble vouloir s’améliorer au Maroc d'autant plus que le retour d’exil du Sultan Mohammed V est très sérieusement envisagé. Je juge la situation suffisamment calme pour faire rentre Andrée et Christian à Fès ce qui est chose faite vers le 20 septembre.

Hélas, l'amélioration de la situation politique ne dure guère et les tribus du Rif, à leur tour, entrent le 1er octobre en rébellion ouverte en attaquant le postes frontière à la limite du Maroc espagnol. Mon régiment est aussitôt mis en alerte et part le 2 octobre en direction du nord où avec d’autres unités, dont certaines venues de France, il va être employé à rétablir la situation. Je laisse donc une fois de plus les miens, et me voilà partis avec:mon peloton d’EBR dans le Rif de sinistre réputation où, par Taounate, Aknoul, Boured, le Col du Nador, nous atteindrons le promontoire de Tizi Ousli marquant la frontière avec le Maroc Espagnol, le 9 octobre, non sans avoir subi le feu des rebelles tapis dans les rochers dans le Col du Nador et la montée vers Tizi Ousli où le Sous-lieutenant de Vogue, de mon escadron, trouvera la mort à la tourelle de son EBR.

Pendant plusieurs semaines nous allons assurer la surveillance et la sûreté des routes traversant le Rif, mission fastidieuse consistant à « ouvrir la route" dans ce pays de montagnes plutôt arides. Chaque peloton se voit attribuer un itinéraire de plusieurs kilomètres dont au plus vite, afin de permettre la circulation, il faut s’assurer qu’il n’est pas miné ou obstrué, en laissant, sur des positions offrant de bonnes vues, un EBR par-ci, par-là, en liaison à vue et par radio avec ses voisins, prêt à intervenir sur tout incident survenant aux véhicules qui seront amenés à circuler sur cet itinéraire. Et ceci durant toute la journée, les pelotons se repliant le soir sur Tizi Ousli, ou Nador, ou Aknoul, ou Boured, ou Dar Caid Medboh selon les ordres, pour recommencer le lendemain sur un itinéraire différent pour éviter la routine, et ceci quel que soit le temps. Bien que très rarement, il arrivera parfois, hélas, que soit par précipitation, soit par manque de coordination, quelques éléments se lancent sur ces itinéraires les croyants ouverts alors qu’ils ne le sont pas encore, avec toutes les fâcheuses conséquences que l’on imagine sans peine.

Nous serons toutefois relevés, environ toutes les 3 semaines pour aller prendre un peu de repos à Fès, remettre en état le matériel et repartir 8 à 10 jours plus tard. Le 1er novembre, le sultan rentre à Rabat mais la rébellion des Rifains, même si elle a nettement faiblie, n’est pas terminée pour autant et elle ne cessera vraiment qu’avec la fin du protectorat français sur le Maroc, en mars 1956. Pendant tout ce temps que je passe dans le djebel, Andrée, comme toutes les épouses des cadres du régiment, prend son mal en patience; elles se rencontrent souvent, se soutiennent mutuellement. Evidemment, pas question pour elles de sortir de Fès el Djedid mais leur sécurité, notamment à la SIAF, est efficacement assurée grâce à la présence, entre autres, du Colonel Devouges (en retraite après avoir auparavant commander le 4éme RSM) qui y loge également et s’en occupe personnellement.

Pour les fêtes de fin d’année, comme en pareil cas, nous ne passons qu'une des deux fêtes en famille. Pour nous trois c’est pour la Noël. Fin mars 1956 donc, le régiment quitte enfin le Rif après l’avoir sillonné dans tous les sens et se retrouve au complet à Fès.

Le Maroc est désormais indépendant; Mohammed V abandonne son titre de Sultan pour celui de Roi du Maroc. Petit à petit la confiance renaît, on peut à nouveau circuler librement et sans crainte. Sur les routes on croise de très nombreux camions dans lesquels s’entassent des Marocains ayant revêtu leurs habits de fête et hurlant à pleins poumons Yah Yah el Malik (Vive le Roi) en brandissant de petits drapeaux chérifiens, rouges avec en leur centre 1’étoile verte à 5 branches. Christian, qui va avoir 9 mois s’amuse à crier comme eux Ya Ya el Malik

Tout contre le Parc Poeymireau, on a construit pour les cadres de l'Armée un superbe bâtiment de plusieurs étages, la "Cité Général Duval" dont, au début de 1'été, nous allons occuper, au rez-de-chaussée, un appartement de 3 pièces très bien agencées. Nos voisins de palier sont le Lieutenant Cauneille et sa femme; ils ont une petite fille, Catherine, qui a le même que Christian qui commence à bien parler et l’appelle "Tatine".


Je passe assez vite sur la vie de garnison qui reprend son rythme normal ; instruction des recrues, tirs à El Hajeb (champ de tir toutes armes prés de Mekhnès ) manifestations diverses, quelques méchouis de ci, de là et nous en arrivons au mois de juillet où, avec Dédée et Christian, nous partons par le train pour Casa d’où, le 26 juillet (je me souviens parfaitement de la date car, en débarquant à Issac nous avons appris que, ce même jour, Nasser venait de nationaliser le Canal de Suez avec les conséquences que l’on sait) nous prenons le Constellation d'Air France pour Bordeaux où nous allons passer un mois de permission, ce qui nous donne aussi l’occasion d’annoncer à la famille que Dédée attend un autre enfant Qui devrait venir au monde au début de février prochain. De retour à Fès début septembre, je pars quelques jours en manoeuvres dans le Moyen Atlas, dans la région de Boulemane à 1'est, sud-est de Fès. En revenant j'apprendrai que, avec Mesdames Bordier et Turck, Andrée est allée en voiture jusqu’à Ifrane, station climatique d'altitude dans l’ Atlas, on y skie l’hiver , à 90 Kms au sud de Fès, où ces dames en se promenant dans la station, se sont attablées à la terrasse d’un café et ont été abordées par un notable marocain jeune et é1égant, parlant parfaitement le francais et qui leur a demandé l’autorisation de s’asseoir à leur table. C’était le Prince Moulay El Hassan, le futur roi du Maroc Hassan II qui possédait une villa à Ifrane. En revenant d'Ifrane, par contre, le joint de culasse de l'Aronde va rendre l'âme en arrivant à Fès, ce qui est encore heureux.
Début octobre, le Colonel Martin-Siegfried nous quitte et passe son commandement au Lieutenant-Colonel d'Ornano. A la même époque j'ai 1’heureuse surprise d'apprendre que, inscrit à titre exceptionnel au tableau d’avancement, je suis promu au grade de Capitaine à partir du 1er Octobre. En principe, les tableaux d'avancement sont établis en fin d’année et les nominations se font au début de chaque trimestre suivant ; exceptionnellement, en 1956, un nouveau tableau a paru en octobre avec promotion immédiate. Je n’en suis pas peu fier car, à1’époque, ne rester que 5 ans dans le grade de lieutenant n’est pas si courant, mme pour les meilleurs des Cyrards. Nul doute que la façon dont je suis noté et mes "titres de guerre" y sont pour l’essentiel. Cela me vaudra, de la part de camarades de promotion, dont un en particulier portant le nom d'une célèbre marque de champagne, moins chanceux ou simplement jaloux, la question acerbe suivante : "Qu’as-tu donc fait d’aussi extraordinaire pour être ainsi peaufiné ? Ce à quoi je lui ai répondu : « très facile mon cher, je me suis simplement trouvé au bon endroit au bon moment."

Me voici donc capitaine. Je quitte mon peloton d’EBR ainsi que mes fonctions d'adjoint au Capitaine Bordier et le Lieutenant-Colonel d’Ornano m'affecte au Bureau d’Instruction de l’Etat-major du régiment, dirigé par le Capitaine Seguret où je serai plus particulièrement chargé de 1’instruction des recrues venant de Métropole et du Maroc, d’en faire un premier temps des soldats, ensuite des spécialistes aptes à devenir membres des équipages d'EBR, enfin, pour les meilleurs d’entre eux, des gradés. Travail prenant qui va s’étaler sur 2 mois, pour les non-spécialistes, 4 mois pour les spécialistes, 6 mois pour les futurs gradés. J'ai donc, comme on dit, du pain sur la planche, jusqu'à la fin mars 57.

Au Maroc, le calme est, à peu de choses prés, totalement revenu sauf aux confins algéro marocains où des incursions de "fellaghas" algériens sont assez fréquentes. Avec mon épouse, dont la grossesse évolue normalement, nous menons une vie tranquille. Christian a un an et grandit bien; avec notre "ordonnance" Mohamed (puis Ali) il fait de gros progrès; ils le promènent dans le parc Poeymireau, et ne va pas tarder à parler arabe... Il faut dire que, tant Ali que Mohamed sont issus des tribus montagnardes de l’Atlas, des vrais "Chleuhs" qui sont restés parfaitement fidèles et ils ont notre totale confiance.

Nous étoffons notre ménage en achetant notre premier réfrigérateur, un superbe Hoover américain, une machine à coudre électrique Elna, un lave-linge Bendix et notre premier service de table, en faïence verte (dont il reste encore quelques rares é1éments)...

Et les mois vont passer. En octobre, une cérémonie anniversaire est organisée au Quartier Bournazel (c’est le nom de notre casernement), en souvenir de nos camarades morts dans la région d' Oued-Zem où dans le Rif

Décembre est vite là, le temps est venu pour ma chérie de retourner à Bordeaux pour mettre au monde notre second bébé, elle passera donc les ftes de fin d’année avec Christian à Issac et Parentis. Quant à moi, je suis très occupé par mes fonctions, aussi cela m’aidera à ne pas trouver le temps trop long. Et le 15 janvier, par télégramme j'apprends qu'une petite fille, Anne-Marie, Francoise a vu le jour à la Clinique Lavalance, avec un peu d’avance sur la date prévue mais en parfaite santé ainsi que sa maman chérie. Tout très bien passé, merci mon Dieu et merci Professeur Mahon.

En mars 1957 je récupère à Casa ma petite famille et, peu de temps après, ayant mené à son terme 1’instruction du contingent qui m’avait été confié six mois auparavant, je quitte le Centre d'Instruction Régimentaire pour prendre à compter du 1er avril, le commandement du 1er Escadron à la suite du Capitaine Bordier, muté en France.
J’y retrouve mon camarade et ami Turck qui devient mon lieutenant en premier, l’adjudant Schwartz, les Maréchal des logis chef Emons, Tedeshi, Nussbaum et Prukop (ce dernier qui en Iindochine, a été fait prisonnier par les Viets et est resté interné durant de longs mois dans un camp de prisonniers du Centre Vietnam, nous raconte les séances de lavage de cerveau qu'il a da endurer.) Nous formerons une bonne équipe qui, hélas, ne durera guère car, en juillet, à mon grand étonnement et au grand dam du Lieutenant-Colonel d'Ornano qui croit que je me suis fait pistonner pour qu’il en soit ainsi, je suis muté à l’EAABC (Ecole d'Application de l'Arme Blindée - Cavalerie) à Saumur, plus spécialement au 1er Régiment de Dragons (Régiment support de 1'Ecole) Je serai appe1è à prendre, à Fontevraud, le commandement de 1'Escadron de Chars (qui comprendra entre autres, plus d’une cinquantaine d’engins allant du char 1éger Chaffee au char de 40 tonnes Patton, en passant par l'AMX 10 et quelques chars moyens Shermann.) En somme, pour moi, il s’agit d’un retour aux sources, un retour à la maison mère qui a vu naître le sous-lieutenant que j'ai été voici 9 ans. Pourvu que l’on ne se souvienne pas de moi lors du prochain carrousel.

Courant juillet nous quittons donc Fès, un peu à regret car le calme revenu, nous nous y plaisions bien, pour Casa où nous nous embarquons pour Marseille à bord du paquebot Koutoubia, avec "armes et bagages" car, avec nous, voyagent un container avec nos meubles et autres impedimenta ainsi que notre Aronde qui a bien supporté la "campagne africaine".

Après une brève escale à Tanger nous croisons les Baléares, longeons la c8te catalane, passons à toucher Barcelone et continuons sur Marseille où nous débarquons. La traversée, très calme, a été très bien supportée par toute la famille; Christian, qui va avoir 2 ans, était émerveillé par ce premier voyage en bateau, quant à Anne-Marie, dans son "babyrève", bercée par la houle légère, elle a parfaitement dormi.

Nous récupérons la voiture et partons par la route vers Bordeaux; le container avec nos meubles sera acheminé sur Arcachon pour être mis en garde meubles en attendant que nous soyons logés à Saumur.

Arrivés à Issac, je passe quelques jours de permission en famille puis, seul, je pars pour Saumur où je me présente, le 1er août, au Colonel de Maupeou d’Ableiges, Commandant le 1er Dragons. Ma famille ne me rejoindra que lorsque j'aurai trouvé un logement ce qui, à priori, ne semble pas évident, 1’offre étant des plus restreintes à l’époque alors que la demande est nombreuse. Pourtant, grâce à un ami connu alors que nous étions à Spire au 6éme RCA et que je retrouve ici (le Capitaine Wagner), et à la condition de ne pas se montrer trop exigeant, je trouve à nous loger, provisoirement, dans un petit deux pièces cuisine meub1é mais sans le moindre confort, au 1er étage d’une petite maison vétuste à Saint Hilaire-Saint Florent, banlieue ouest de Saumur. La "ballade Africaine" de la famille est à présent terminée. L'Afrique,je la retrouverai plus tard, mais seul.


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Se sont des histoires incroyables, merci a ces braves soldats, bravo.
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Soly Anidjar
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Au petit fils d'un heros qui se trouve sur ces photos.

Soly
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C'EST UNE SUPER IDÉE SOLY !!!UNE RUBRIQUE QUI VA PLAIRE À BEAUCOUPS DE MONDE, CAR ENFIN DE COMPTE, ON VIT DE SOUVENIRS.
JE PROFITE POUR TE REMERCIER DE M'ENVOYER DES RECETTES CAR J'ADORE CUISINER!!!



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