Nous sommes en 1940. La Seconde Guerre Mondiale vient d’éclater il y a un an. Le gouvernement de Vichy se met en place en France et le Maréchal Pétain prend les rennes du pays. Très vite, Pétain commence une étroite collaboration avec les nazis qui occupent peu à peu l’hexagone. A l’instar du reste de l’Europe, les rafles de juifs se multiplient. En France, des centaines de juifs décident de quitter leur pays pour se réfugier en Afrique du Nord et particulièrement au Maroc. Ils sont accueillis par des juifs natifs du Maroc qui vont les aider à gagner l’Amérique du Nord. A cette époque, on estime à 260 000 le nombre de juifs qui vivaient au Maroc.
Discrimination des juifs au Maroc
Mais très vite, les juifs du Maroc deviennent eux aussi une cible des autorités françaises installées au Maroc et doivent faire face à des discriminations comme en Europe. Un dahir (décret) du 31 octobre 1940, définit les juifs comme une race et non pas comme une religion. Ce dahir s’applique aussi bien aux Juifs nés au Maroc qu’aux Juifs nés en dehors du royaume et qui sont de nationalité étrangère. Résultat : les juifs au Maroc sont exclus de toute profession libérale. Ils ne peuvent pas devenir enseignants, avocats, médecins, fonctionnaires ou artistes. Les enfants de ces communautés souffrent également de discrimination puisque beaucoup sont renvoyés des écoles françaises. Par ailleurs, les Français avaient même imposé aux juifs du Maroc de faire une déclaration détaillée de leurs biens qui mènerait à des confiscations et à des spoliations.
L’historien Bin-Nun Yigal insiste sur le fait que le sultan Mohammed ben Youssef a du signer sous pression ces dahir. « Entre 1940 et 1942, il fut contraint de signer à contre cœur les dahir anti-juifs comme il a du signer même des dahir portant atteinte à son pouvoir, afin de ne pas mettre son trône en danger. Par contre, la multitude de gestes publics ou discrets qu’il fit en faveur de ses sujets juifs montre son rejet de l’antisémitisme si répandu chez les résidents français au Maroc. Les témoignages rapportés par l’historien américain Robert Satloff soulignent dans son livre Parmi les justes, histoires perdues dans le long prolongement de l'holocauste dans les pays arabes/ « qu'il n'y avait aucune crainte de ces gardes arabes mais plutôt des militaires encadreurs français ». Il cite « un rapport rendant compte de nombreux cas de tortures sadiques sur les malheureux prisonniers juifs et non-juifs, où les seuls étincelles d'humanité venaient des gardes arabes ».
Des camps de travail sont donc installés par le protectorat français au Maroc dans lesquels prêts de 2000 juifs étrangers seront internés. Bin-Nun Yigal cite par exemple le camp sinistre de Bou‘arfa au Sahara oriental où étaient internés Juifs et non Juifs, où les conditions de vie étaient des plus dures. Dans un autre camp, celui de Aïn Béni Matar, près de Jerada, furent internés 400 Juifs qui subirent des traitements cruels. Même à Boudnib dans le Tafilalt, berceau de la dynastie royale alaouite, et ville natale du général Mohammed Oufkir, trois bâtisses de l’armée française servirent de camp de travail où furent internés des centaines d’Européens parmi eux des Juifs.
La création de la Claim Conference
La Seconde Guerre Mondiale est terminée et la diaspora juive décide de se rassembler en force pour exiger des compensations auprès des pays collaborateurs du nazisme, comme l’Allemagne et l’Autriche, aux victimes juives et aux survivants de l’Holocauste. En 1951, la Claim Conference est créée, née d’union d’associations juives, son siège se trouve à New York et s’installe dans plusieurs pays y compris Israël. Depuis 1952, le gouvernement allemand a versé plus de 60 milliards de dollars d’indemnisation aux victimes juives du nazisme. Cependant, pour ce qui est des juifs marocains, la situation est beaucoup plus complexe.
Les indemnisations
Alors que les Juifs de Tunisie, d’Algérie et de Libye ont été reconnus comme survivants de l’Holocauste et ont été indemnisés il y a fort longtemps, les Juifs marocains n’ont jamais été reconnus comme tel. Jusqu’à présent, seul un petit nombre de juifs marocains ont réussi à obtenir la reconnaissance en tant que survivants de l’Holocauste et ont été indemnisés en conséquence.
Aujourd’hui le bureau israélien de la Claims Conference a promis la somme de 2556 Euros aux Juifs marocains, nés jusqu’en aout 1943 et qui furent discriminés. Une discrimination qui concerne seulement leurs droits limités à la circulation. Un dahir de 1941 déclarait que les Juifs du Maroc habitant en ville dans les quartiers européens devront quitter ces quartiers et retourner vivre dans les quartiers juifs.
Pour Bin-Nun Yigal, prendre en compte uniquement cette discrimination pour verser des dédommagements n’est pas suffisante et ne reflète en rien la réalité historique au Maroc. « Très peu de personnes rentrent dans cette catégorie, et ce n’était pas la plus discriminante envers les Juifs du Maroc », explique-t-il. Pour lui, l’éviction de nombreux Juifs de leur profession, de l’administration et des écoles était bien plus cruelle et n’a pas été prise en compte.
En outre, plusieurs Juifs marocains atteints par ces dahir anti-juifs pensent que la décision du gouvernement allemand arrive trop tard et que le montant proposé est si dérisoire qu’il vaut mieux rejeter tout accord d’indemnisation individuelle. Pour beaucoup c’est un accord humiliant pour la communauté juive marocaine à travers le monde.
Autre source de désaccord entre les historiens et la Claim Conférence, sur lequel tient à insister Ben Nun Yigal : « Au Maroc, contrairement aux propos de la Claims Conference, on ne peut en aucun parler de la « Shoah des Juifs du Maroc. Utiliser un terme pareil prouve une méconnaissance totale de l’histoire de la part de la Claims Conference. »
A ce jour, la Claim Conference n’a toujours pas réagi face aux désaccords des historiens sur les indemnités à verser aux juifs marocains. Une pétition va être publiée dans les médias pour mettre la pression sur l'organisation.