Polémique démesurée autour de la démolition de l’ancien hôpital Benchimol: La Communauté juive de Tanger remet les pendules à l’heure
La récente démolition de l’ancien hôpital israélite Benchimol à Tanger, construit il y a plus d’un siècle et fermé depuis une quarantaine d’années, se trouve au milieu d’une polémique entre les autorités de la ville et certaines personnalités ou institutions juives, à l’intérieur comme à l’extérieur du Maroc.
Selon les premiers, l’édifice menaçait ruine et allait être la cause d’une véritable catastrophe, d’où la décision incontournable de le raser.
Pour les seconds, il s’agit d’une profanation du patrimoine juif au Maroc et une spoliation de la propriété privée.
Cette polémique semble avoir pris une proportion démesurée par rapport à une affaire qui consiste finalement en une simple conversion en un futur espace vert qui entre dans le cadre de la mise à niveau et de la modernisation de la ville de Tanger, d’autant plus que cette bâtisse qui n’a jamais été classée patrimoine, et qui, de surcroît ne servait plus à rien, tombait en ruines.
Logiquement, on ne devrait pas hésiter longtemps à faire un choix entre ces deux options !
Le portail électronique constituant un forum de discussions, de retrouvailles et de souvenirs nostalgiques de la Communauté juive du Maroc, aujourd’hui éparpillée un peu partout dans le monde, a été pris d’assaut ces trois dernières semaines après que la nouvelle de la démolition de l’ancien hôpital Benchimol de Tanger se soit répandue.
Indignation, contestation, dénégation, désapprobation, autant de formes de protestations en provenance de plusieurs horizons contestant cet acte jugé comme une profanation du patrimoine juif au Maroc et une spoliation de la propriété privée.
Voici, à titre d’exemple, la traduction d’un extrait de l’article du journaliste israélien Itamar Eichner, paru sur le quotidien le plus lu en Israël « Yediot Aharonot » : «Emotion au sein de la communauté juive du Maroc depuis la destruction de l’ancien hôpital Benchimol par le gouverneur de la ville dont le programme est de construire, à la place, un jardin public. De plus, l’intention est de détruire également l’ancien cimetière juif de la ville, se trouvant à proximité, et dans lequel se trouvent enterrés de nombreux saints juifs. Cet hôpital a été construit en 1889 et depuis quelques années, il s’est modifié en Hospice de vieillards. Au milieu de la fête de Paques, pendant que les pensionnaires n’y étaient pas, les bulldozers sont arrivés et ont rasé le bâtiment. Des drapeaux marocains ont de suite été placés sur la devanture » (fin de citation).
De son côté, le président des communautés juives espagnoles Jacobo Israel Garzon, s’est fendu d’une lettre de protestation à l’adresse du wali de la ville de Tanger, dans laquelle il s’insurge contre ce qu’il considère comme une sérieuse atteinte au droit à la propriété. Apparemment, la réaction de Jacobo Israel Garzon obéirait à un agenda proprement espagnol, l’homme étant connu pour ses accointances avec la droite
« franquiste » hostile au Maroc.
Depuis Montréal au Canada, le Dr David Bensoussan, porte-parole de la Communauté Sepharade Unifiée du Quebec adresse, pour sa part, une lettre à l’Ambassade du Royaume du Maroc à Ottawa dans laquelle il dénonce le fait que « l’hôpital Benchimol ait été démoli dans des circonstances contestables, cette destruction ayant été ordonnée à l’insu de la Communauté israélite de Tanger qui en est le proprietaire, et sans son accord ».
De son côté, le secrétaire général de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain, M. Simon Lévy, rappelle qu’en une nuit, celle du vendredi 2 au samedi 3 avril, en pleine fête de Pessah, l’Hôpital Benchimol de Tanger a été rasé par les autorités. Il avait plus de cent ans et c’était le doyen des hôpitaux marocains, fondé dix ans avant le protectorat, à l’intention de la communauté juive mais ouvert aussi aux musulmans. Monument historique donc, écrit M. Levy, ajoutant qu’à Tanger, les
«responsables » ont trouvé plus expéditif de raser un témoin du Maroc qui bougeait, avant la colonisation, et cela contre l’avis de la Fondation créée à cet effet, et plus grave encore, de la population de la ville, jalouse de son passé prestigieux.
« Aujourd’hui, il ne reste que des photos de ce pauvre et si joli hôpital. On peut les voir au Musée du judaïsme », conclue M. Lévy.
Devant cette recrudescence de protestations, la Communauté Israélite de Tanger, forte de plusieurs dizaines de personnes qui vivent à proximité de cet ancien hôpital et qui en connaissent parfaitement bien le dossier, a apporté un éclaircissement dédramatisant la situation à travers un communiqué datant du 22 avril 2010, que nous publions intégralement ci-après :
COMMUNIQUE
DE LA COMMUNAUTE ISRAELITE DE TANGER
«Nous regrettons que certains n’aient pas jugé pertinent de nous consulter avant de faire circuler des informations alarmistes et souvent erronées».
« Chers amis,
« Il a fallu la malencontreuse et douloureuse démolition du bâtiment de l’Ex-Hôpital Benchimol, pour éveiller l’intérêt et la solidarité de nos concitoyens et de nos coreligionnaires vivant à l’étranger sur une Communauté qu’ils ont quittée depuis plusieurs décennies. Cette solidarité et les commentaires qu’elle a suscités, traduisent un désir d’information que nous nous devons de satisfaire.
EX-HOPITAL BENCHIMOL
« Cette institution cessa de fonctionner comme Hôpital dans les années soixante dix. Elle devint par la suite, un home pour des nécessiteux, souvent très âgés, dépourvus de moyens et à la charge de notre collectivité. Ce home fonctionnait parallèlement à l’Institution connue sous l’appellation « Asile », proche par ailleurs géographiquement de l’ex-Hôpital Benchimol et qui abritait, elle aussi des personnes indigentes.
Nous avions donc en charge deux homes, ce qui entraînait double dépense, en personnel, entretien, assistance.
« Les effectifs des pensionnaires étant en diminution à l’instar des effectifs de notre Communauté, la fusion de ces deux résidences s’imposait.
« Laquelle retenir ? Notre sympathie portait sur l’Ex Hôpital Benchimol, en raison des souvenirs du passé ; de nombreuses familles ont vu leurs enfants naître dans cet Hôpital.
« Toutefois, sa structure ne se prêtait pas à en faire une résidence moderne ; étroitesse de la cuisine, manque de salons, manque de réfectoire etc…
« En outre, son état laissait trop à désirer ; la construction vieille de plus d’un siècle nécessitait de très sérieux travaux, les filtrations d’eau exigeaient une réfection complète de la toiture dont les poutres en bois étaient pourries etc… Les techniciens consultés nous conseillèrent d’opter pour l’Asile.
« Celui-ci fut l’objet de travaux d’extension et d’un équipement moderne dans les chambres et la cuisine (salles de bain individuelles, mobilier, matériel, moquettes, téléviseurs etc).
« Nous disposons depuis, d’une magnifique Institution qui fut rebaptisée « Résidence Laredo Sabbah, Benchimol », le rajout Benchimol à l’ancienne appellation, pour perpétuer la mémoire du fondateur de l’Ex-Hôpital Benchimol, désaffecté.
« Que faire de l’Ex-Hôpital Benchimol ? Plusieurs études furent commandées entre 2004 et 2006. Une demande d’autorisation de construction d’un petit bâtiment à usage d’habitation fut déposée à la Commune Urbaine. Malgré l’accord de principe reçu en 2007, l’obtention de l’accord définitif était toujours reportée…
« Nous avons donc, décidé d’abandonner l’idée de construire et demandé l’autorisation de le vendre et destiner le produit de la vente à l’acquisition d’un immeuble de rapport. Nous aurions ainsi substitué la possession d’un bien qui ne rapportait rien à notre Communauté, par une propriété produisant des revenus. Rappelons en passant, que la cession de biens immobiliers communautaires requiert l’autorisation préalable du Ministère de l’Intérieur.
« Au lieu de cette autorisation, il nous fut proposé de donner ladite propriété en location à la Municipalité qui en ferait un jardin dans le cadre d’un projet de mise en valeur du Palais Moulay Hafid appartenant au Gouvernement d’Italien. Cette proposition ne fut pas acceptée par notre Comité.
« Le 26 Novembre 2008, la Commune Urbaine nous fit part d’une décision ordonnant la démolition du mur qui entourait le bâtiment et du bâtiment lui-même et ce, dans un délai de huit jours. Le mur fut démoli par l’Administration avant l’expiration dudit délai. Nous l’avons aussitôt reconstruit après l’obtention des autorisations administratives nécessaires.
« Entre-temps, nous avions établi de nouveaux plans d’un immeuble à construire sur les lieux, conçu en sorte à dégager une vue depuis l’avenue Hassan II sur le Palais Moulay Hafid, pour satisfaire ainsi les vœux de l’Administration. Cette étude fut également soumise au Secrétaire Général du Conseil des Communautés, qui nous affirma qu’on n’avait rien à craindre quant à une expropriation.
« Un an et quatre mois plus tard, sans autre mise en demeure que celle du 26 Novembre 2008 ci-dessus, la nuit du 2 au 3 Avril 2010, un soir de Pessah, alors que les responsables de la Communauté étaient hors de Tanger, la Municipalité procéda à la démolition de notre propriété. Avertis le lendemain, nous avons communiqué les faits à M. Serge Berdugo, Secrétaire Général du Conseil des Communautés qui était sur le point de partir aux Etats-Unis. Celui-ci nous demanda d’attendre son retour.
« Une délégation de notre comité, en compagnie de M. Serge Berdugo, a été reçue aujourd’hui le 22/4/2010, par Monsieur le Wali de la Province de Tanger.
Monsieur le Wali a tenu à nous rappeler lors de cette audience :
— que la démolition de bâtiment fut décidée par le Conseil Municipal le 26/11/2008, décision notifiée le 28/11/08.
— que cette initiative était dictée par la Commune Urbaine pour des raisons de salubrité et dans le cadre d’une étude du plan d’aménagement sectoriel de la zone où se trouve le Palais Moulay Hafid (Institutions italiennes).
« Selon Monsieur le Wali, cette décision fut confirmée par un deuxième arrêté municipal le 15/3/2010 qui aurait été remis à un de nos gardiens (cette notification ne nous est jamais parvenue ).
« Ceci étant, Monsieur le Wali, a bien voulu nous préciser :
— qu’il est hors de question que la Communauté Juive de Tanger soit l’objet d’une quelconque discrimination et encore moins, d’une spoliation;
— que la coïncidence de la date de démolition avec la fête de Pessah est la résultante d’un hasard malheureux;
— que l’Administration procède généralement aux démolitions les vendredi soir pour profiter du week-end et éviter les attroupements et la perturbation du trafic;
— que le statut de propriété de la Communauté sur le terrain de l’Ex-Hôpital Benchimol est inviolable;
— que les autres bâtiments situés sur le même îlot que l’Ex-Hôpital Benchimol seront également démolis dans un très proche avenir dès lors que les procédures administratives seront accomplies.
« A cet égard, il ordonne la suspension des études de l’aménagement de la zone Moulay Hafid , afin de préserver la valeur de notre patrimoine.
« Il s’est déclaré ouvert, dans le cadre de l’aménagement urbanistique de la ville, à toute solution du problème créé par la démolition de l’Ex-Hôpital Benchimol, solution qui pourrait être soit une éventuelle juste compensation financière, soit l’approbation d’un projet immobilier qui serait présenté par notre Comité.
LE CAS DES CIMETIERES
«S’agissant des cimetières, nous avons précisé à Monsieur le Wali que notre Communauté possède deux cimetières, l’ancien sis Rue de Portugal et le nouveau, Route de Rabat. Les deux nécessitent un entretien coûteux. Nous avons procédé entre 2008 et 2009 à la restauration de celui de la Route de Rabat, restauration consistant notamment en le nettoyage de toutes les tombes, la réfection des rues principales, le pavage des allées latérales, le bétonnage entre les tombeaux etc, travaux dont le coût s’est élevé à DH. 1.700.000 (équivalent de plus de $ 200.000). Un site fut créé dans le Web sous la dénomination www.beit-hahayim-tanger.com.
« Il convient de le consulter pour se rendre compte du travail réalisé. Un répertoire de tous les tombeaux et la photographie de chacun d’eux s’y trouvent.
« Nous cherchons à faire le même travail pour le cimetière de la Rue Portugal. L’état de ce dernier est très mauvais. Chaque année nous procédons au désherbage, mais la végétation y est très dense et peu après, tout reprend. La solution est de faire un désherbage et un bétonnage entre les tombes comme celui que nous avons fait au Cimetière de la Route de Rabat. Enfin, l’enceinte du cimetière nécessite souvent d’être renforcée.
« Un devis de ces travaux fut demandé l’année dernière. Avant discussion, il nous est demandé DH. 4.000.000 (équivalent de $ 500.000).
Doit-on rappeler que nous n’avons reçu aucune contribution de l’étranger pour ce qui est des travaux réalisés dans le cimetière de la Route de Rabat.
« Le Conseil des Communautés faisant une priorité de la conservation des cimetières, nous l’avons saisi le 8 Novembre dernier, du problème de celui de la Rue de Portugal.
« Concernant les rumeurs colportées par certains courries qui font état d’un projet urbanistique touchant le cimetière de la Rue Portugal, Monsieur le Wali, nous a assuré avec force, qu’un tel projet n’existe pas et que de toutes façons il n’y aura jamais de violation de nos cimetières.
« En outre, Monsieur le Wali nous a proposé de mettre à notre disposition ses services et du matériel pour nous assister dans les travaux que nous entreprenons régulièrement pour le désherbage de ce cimetière.
« Enfin, il nous a informé de sa décision de diligenter une demande immédiate de classement des sites cultuels et culturels Juifs de la Province, au patrimoine national afin de les préserver et d’assurer leur inviolabilité.
« Nous espérons avoir répondu à toutes les légitimes préoccupations qui ont été exprimées au sujet de ces deux questions.
« Ajoutons si besoin est, que notre Comité et le Conseil des Communautés se sont toujours fait un devoir moral de prendre toutes les mesures pertinentes pour préserver notre patrimoine commun marocain et ce, en faisant face quelque fois, à des situations délicates.
« Etant ouverts à toute demande d’information, nous regrettons enfin, que certains n’aient pas jugé pertinent de nous consulter avant de faire circuler des informations alarmistes et souvent erronées.
Nous vous prions de croire, Chers amis, à nos sentiments les meilleurs ».
(Fin du communiqué)
Le Comité de la Communauté Israélite de Tanger
1, rue de la Liberté - Tanger Maroc - Tél. : 05 39 93 16 33 – 05 39 93 76 09 – 05 39 93 60 24
De cette mise au point aussi lucide, réaliste que pragmatique, plusieurs conclusions pourraient être dégagées si l’on se posait les questions suivantes :
1°) Comment se fait-il qu’en dehors des membres de la Communauté israélite de Tanger, aucune personne ni institution ne se soit inquiétée du sort de la bâtisse de l’ancien hôpital Benchimol qui tombe en déconfiture depuis plus de 40 ans. Il aura fallu attendre que « la vache tombe pour sortir les couteaux » (proverbe marocain).
2°) Combien de signataires de pétitions de solidarité connaissent-ils l’ancien hôpital Benchimol ? Il doit sûrement y en avoir plusieurs qui n’ont jamais mis les pieds à Tanger ; voire au Maroc.
3°) Les contestataires savent-ils que ce petit bâtiment à l’aspect d’un chalet n’a jamais été classé dans un quelconque patrimoine ? Et combien même l’aurait-on voulu, cette bâtisse répondait-elle aux critères de ce classement ?
4°) Pourquoi met-on en relation le problème de l’ancien hôpital Benchimol avec une fausse histoire cousue autour des cimetières juifs à Tanger pourtant parfaitement bien protégés et conservés, sinon seulement pour donner une disproportion à la polémique ?
5°) Si des gens portent réellement Tanger dans leur cœur comme ils le prétendent, leur désir ne serait-il pas de voir cette ville s’émanciper et se moderniser en commençant par parfaire son image de marque. Les espaces verts font justement partie de cette image.
M. ABOUABDILLAH
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